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Bébé Chirac, fan de rap et fine gâchette : François Baroin, le nouvel homme fort du camp Fillon

A 51 ans, l'ex-chiraquien et sarkozyste est devenu incontournable dans l'équipe du candidat de la droite. François Fillon l'a nommé, jeudi, dans sa garde rapprochée, "en charge du rassemblement politique". Un premier pas vers Matignon en cas de victoire à la présidentielle ? 

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
François Fillon et François Baroin, le 7 février 2017 lors d'un déplacement à Troyes (Aube). (HAMILTON / REA)

"Pour être un bon chasseur, il faut être patient, adroit et discret. A l'affût. Et François Baroin est, dit-on, un bon chasseur." La remarque, glissée début février dans un billet écrit par le juppéiste Edouard Philippe dans Libération, est plus que jamais d'actualité. Au centre de toutes les tractations qui ont finalement conduit au maintien de François Fillon dans la course à l'Elysée, François Baroin, 51 ans, fait désormais figure d'homme fort au sein de l'équipe du candidat de la droite, où certains voient déjà en lui un futur Premier ministre.

Dévoilant une nouvelle équipe de campagne resserrée, jeudi 9 mars, François Fillon lui a réservé une place de choix, en le chargeant d'une mission périlleuse : s'occuper du "rassemblement politique". Une nomination que beaucoup verront sans doute comme un premier pas vers Matignon en cas de victoire de François Fillon à l'élection présidentielle. Et qui serait pour lui le fruit de trente ans de carrière politique. 

En caleçon à la télé, dans les bras de son père

Décembre 1986. François Baroin n'a que 21 ans lorsqu'une caméra de télévision fait irruption dans sa chambre. Une équipe de France 3 réalise un sujet en immersion dans le quotidien de son père, Michel Baroin, haut fonctionnaire, président de la société d'assurance GMF et de la Fnac, et ami personnel de Jacques Chirac. Surpris au saut du lit, le jeune François, en T-shirt et caleçon, se frotte les yeux, peu inspiré par les questions du journaliste sur les manifestations contre la loi Devaquet sur l'université, et sur la mort de Malik Oussekine, tué sous les coups de matraque de la police.

La scène, a priori anecdotique, vaut surtout comme preuve de l'amour que le père et le fils éprouvent l'un pour l'autre. Moins de deux mois plus tard, Michel Baroin meurt dans un mystérieux accident d'avion au Cameroun. Très proche de son père, François Baroin, qui a déjà perdu sa sœur quelques mois auparavant, vit un vrai drame. "On était une famille. On était quatre et puis, pratiquement du jour au lendemain, on s'est retrouvés à deux. Je suis passé de l'innocence à la responsabilité. Et à partir de là, c'est devenu une habitude. J'ai eu rendez-vous avec la mélancolie. Tous les jours. Il faut s'y habituer", confie-t-il à la journaliste Anne Fulda, auteure de François Baroin, le faux discret (JC Lattès, 2012).

On retrouve François Baroin quelques semaines plus tard, en mars 1987, sur le plateau "d'Apostrophes", la célèbre émission de Bernard Pivot. Il y présente, à titre posthume, le livre que son père a eu le temps d'achever avant de disparaître.

François Baroin sur le plateau "d'Apostrophes", sur Antenne 2, le 6 mars 1987. (GEORGES BENDRIHEM / AFP)

"J'ai eu la chance de vivre vingt-et-un ans au côté d'un homme d'exception. J'ai l'impression que sa puissance est beaucoup plus forte maintenant qu'il est mort, dans mon esprit, parce qu'il va me servir de guide. Ce que je voudrais, c'est faire passer son message. Ce qui est important, c'est de perpétuer son œuvre", explique-t-il. Comment ? "Ça passe par plusieurs chemins différents, pourquoi ne pas les prendre tous ?" conclut-il, énigmatique.

Un féru de chasse et de pêche

S'il n'est pas devenu franc-maçon – contrairement à son père, qui fut grand maître du Grand Orient de France à la fin des années 1970 –, François Baroin a clairement hérité de son idéologie libérale et laïque. "C'était un démocrate forcené", dit-il à propos d'un père, qu'il dépeint comme "la version moderne d'un saint laïc". Bien des années plus tard, en 2003, c'est sans doute animé de ces valeurs que François Baroin rend au président Chirac un rapport intitulé Pour une nouvelle laïcité, proposant entre autres le vote d'une loi pour interdire le port des signes religieux à l'école. Un texte qui sera adopté en 2004 à une large majorité.

Dans un tout autre registre, Michel Baroin a transmis à son fils un goût pour la chasse et la pêche. Tous les étés, la famille Baroin se rend à Dun-le-Palestel, dans la Creuse. "J'ai porté mon premier lièvre à 5 ans, confie fièrement François Baroin au Figaro. J'ai toujours adoré les animaux et la nature. Mon rêve était de devenir vétérinaire. Mon grand large à moi, c'est un ruisseau de trois mètres."

La politique ne l'a pas détourné de ses hobbies. Bien au contraire : président de la République, Jacques Chirac lui confie la responsabilité des chasses présidentielles du domaine de Chambord (Loir-et-Cher). Une survivance monarchique dont la participation est réservée à quelques initiés. Et où l'art de la gâchette compte autant que l'entretien de ses réseaux. Avec Christian Jacob, François Baroin participe chaque année à la grande battue organisée par les Soufflet, une célèbre famille de céréaliers, raconte Capital. Et selon L'Expansion, François Baroin chasse régulièrement le sanglier à Pont-sur-Seine (Aube) en compagnie de notables locaux.

Chirac, son deuxième père

Le passage de François Baroin à l'émission "Apostrophes" a tapé dans l'œil d'un certain Jean-Pierre Elkabbach. Le patron d'Europe 1 l'embauche alors comme journaliste au service politique, un poste qu'il occupe pendant quatre ans, jusqu'en 1992. "J'ai été envoûté par sa voix, attiré par son charisme et conquis, une fois à l'œuvre, par son professionnalisme et sa loyauté", explique Jean-Pierre Elkabbach au magazine L'Expansion.

A ses débuts à Europe 1, ses confrères ne comprennent pas comment le novice François Baroin parvient à décrocher aussi facilement interviews et confidences de la part des politiques, raconte Capital. Ils ne connaissent pas, à l'époque, les liens privilégiés qu'il entretient avec Jacques Chirac.

Car pendant ce temps, François Baroin a trouvé en Chirac un nouveau père. "A la suite du drame qui a coûté la vie à son père, j'ai pris, en quelque sorte, François sous mon aile pour le conseiller, l'aider, le soutenir, l'orienter, relate l'ancien président en 2011, cité par Anne Fulda. Nous sommes devenus peu à peu très proches."

Plus qu'un soutien, plus qu'un ami, François est devenu comme un fils. Nous avons donc partagé beaucoup. Des déjeuners, des dîners. Des joies. Parfois des peines, aussi.

Jacques Chirac

interrogé par Anne Fulda en 2011

Jacques Chirac et François Baroin, en avril 1995 à Reims (Marne). (MICHEL JOLYOT / REA)

Une haine tenace contre Juppé

Chaperonné par le leader de la droite, François Baroin, déjà conseiller municipal de Nogent-sur-Seine (Aube), est envoyé au combat aux législatives de 1993. Député à seulement 27 ans et 9 mois, il est le benjamin du Palais-Bourbon. Et l'ascension ne va pas s'arrêter là. Elu président de la République, Jacques Chirac le nomme en mai 1995 au poste très exposé de porte-parole du gouvernement Juppé.

François Baroin, alors benjamin de l'Assemblée nationale, le 31 mars 1993. (ABD RABBO / SIPA)

Mais l'aventure s'arrête net dès le mois de novembre : le jeune secrétaire d'Etat fait les frais du remaniement. Des années plus tard, son éviction lui reste encore en travers de la gorge. "Je n’ai pas parlé à Juppé pendant sept ans. Mais il m'a rendu service : ce jour-là, je suis devenu un véritable homme politique. J’ai compris à quel point le pouvoir divise et éloigne, même si l'on appartient à la même famille", confie-t-il à Challenges. L'épisode explique l'inimitié qui, encore aujourd'hui, anime les deux hommes. Et éclaire les raisons qui ont récemment poussé le maire de Troyes à manœuvrer pour empêcher le "plan B" qui visait à remplacer François Fillon par Alain Juppé dans la course à l'Elysée.

François Baroin devra attendre une dizaine d'années avant de retrouver un poste au gouvernement. Nommé ministre de l'Outre-mer en 2005, il doit à Jacques Chirac, alors au crépuscule de son mandat, un très bref passage – moins de deux mois – comme ministre de l'Intérieur, en 2007. "Deux mois à l'Intérieur, cinq ans à l'extérieur !", se moque Nicolas Sarkozy, futur président de la République.

Des lunettes d'Harry Potter au rap d'IAM

C'est encore grâce à la famille Chirac que François Baroin fait la rencontre, en 2008, de sa future épouse, la comédienne Michèle Laroque. La fille cadette de Jacques Chirac, Claude, les met en relation lors des 80 ans de Line Renaud, fêtés au Pré Catelan, célèbre restaurant étoilé du bois de Boulogne.

Après sa relation avec la journaliste Marie Drucker (c'est elle qui l'aurait convaincu d'abandonner ses petites lunettes rondes à la Harry Potter), François Baroin se serait vraiment métamorphosé au contact de l'actrice. Discret, le couple s'affiche parfois dans les tribunes du Parc des Princes, ou dans les gradins de Roland-Garros.

Michèle Laroque et François Baroin, le 31 mai 2009, aux Internationaux de tennis de Roland-Garros, à Paris. (MAXPPP)

Michèle Laroque est "celle à côté de qui l'éternel jeune homme sombre semble enfin rire aux éclats", écrit Anne Fulda. Selon elle, François Baroin est "passé en quelques années de l'apparence d'un vieil enfant triste, d'un ado attardé et mélancolique, à celle d'un quadra bien dans ses pompes. Qui, arrivé à l'âge adulte, commence enfin à rajeunir. A se décoincer."

Parfois, François Baroin se lâche carrément. Comme ce 31 juillet 2009 où, invité dans une émission sur Europe 1, il se met à déclamer, de sa voix grave et posée, le rap de L'Empire du côté obscur, d'IAM. Il en profite pour rendre hommage au mythique groupe marseillais : "C'est une révolution absolue et c'est pour moi la définition du rap, de l'écriture. Ils disent des choses. Comprendre le rap, c'est aussi comprendre son temps. Ils ont été les premiers à dire que, la cagoule, c'était aussi la force obscure et que, la porter, c'était révélateur de l'état d'esprit des jeunes des cités." Plutôt rare dans la bouche d'un haut responsable politique.

L'ambition débordante d'un dilettante

Promis en 2007 à une disette de cinq ans par Nicolas Sarkozy, le chiraquien revient en grâce, au prix d'une conversion au sarkozysme. En 2010, après le fiasco des élections régionales, il revient par la grande porte au gouvernement, au poste de ministre du Budget. Accusé de ne pas suffisamment travailler ses dossiers, il donne à son passage à Bercy une teinte plus politique que technique. Lui se défend de se comporter en dilettante.

Mon éducation m'a appris à faire sérieusement ce que j'ai à faire sans me prendre au sérieux.

François Baroin

dans "Les Echos" en 2010

Avec son ami Christian Jacob, il côtoie régulièrement deux autres jeunes aux dents longues : Jean-François Copé et Bruno Le Maire. Les "Mousquetaires" de l'UMP, qui se voient de manière informelle, sortent de l'ombre à l'occasion de la publication d'une tribune dans Le Figaro, intitulée "Les conditions de la victoire en 2012".

Ce petit groupe, bientôt rejoint par Valérie Pécresse et Luc Chatel, déborde d'ambitions. "Est-ce que certains, secrètement, avaient l'espoir, en cas de réélection de Sarko, d'être candidat à Matignon ? s'interroge après coup François Baroin, qui se confie au Monde en 2013. Certainement. C'était peut-être le cas pour Copé, c'était peut-être mon cas. Chacun connaissait les ambitions des uns et des autres. On est de la même génération. Je suis celui qui avait l'expérience politique la plus importante : j'ai été élu avant Copé, avant tous les autres, c'est mon cinquième mandat de député, j'ai été plusieurs fois ministre. Evidemment il y avait des frottements d'ambitions, mais ça peut se gérer, à la loyale." Luc Chatel confirme : "Baroin considère maintenant, avec le recul, que c'était une alliance de circonstances. Il considère que personne, dans sa génération, n'est plus légitime que lui."

Valérie Pécresse, Bruno Le Maire, Jean-François Copé, Christian Jacob, François Baroin et Luc Chatel, le 10 avril 2012 lors d'un meeting de soutien à Nicolas Sarkozy. (MAXPPP)

Très vite, l'ambiance tourne au vinaigre. Le remplacement à Bercy de Christine Lagarde en 2011, partie prendre la place deDominique Strauss-Kahn au FMI, vire à la crise de nerfs entre Bruno Le Maire et François Baroin, qui obtient finalement gain de cause. Les versions des deux intéressés divergent, et laissent des traces.

Le Maire a fait un truc qui me paraissait inconcevable. Du coup, il a fallu montrer les muscles. Il se trouve que j'étais déjà à Bercy ; j'aurais été ailleurs, ça aurait été une compétition loyale. Mais j'étais sur place, et engager une compétition pour la succession de Lagarde était un truc déloyal. Je n'ai même pas compris pourquoi il a voulu faire ça, si ce n'est une ambition excessive. Je pense qu'il n'a pas oublié, moi non plus.

François Baroin

au "Monde", en 2013

Quand Christine Lagarde a quitté Bercy pour le FMI, on m'a proposé le poste. On m'a demandé de le prendre. Puis on me l'a retiré. C'est ça, l'histoire, et elle est simple. Tout le monde alors, de Juppé à Sarkozy en passant par Balladur et les présidents du CAC 40, a estimé qu'il y avait une personne compétente pour reprendre Bercy, c'était Bruno Le Maire. On m'avait demandé, quinze jours auparavant, de me préparer pour ce poste. On me demande – le président de la République – de prendre le poste le mardi. Et après, on me le retire. Tout le reste, les histoires de campagne, je ne sais trop quoi, ce sont des affabulations.

Bruno Le Maire

au "Monde", en 2013

François Baroin n'a rien du jeune homme tendre que renvoie parfois son image. "Dans la politique, il aime aussi les rapports de force et le bruit des balles", assure son ami Jean-Michel Blanquer à Challenges.

Un protégé de Sarkozy qui fait allégeance à Fillon

Grâce à son flair politique, le "bébé Chirac" a réussi à s'épanouir en Sarkozie. Malgré de nombreuses divergences de vues avec l'ancien chef de l'Etat, beaucoup plus à droite que lui sur les questions de société et d'identité, c'est bien au côté de Nicolas Sarkozy que François Baroin se lance dans la primaire de la droite, fin 2016. Particulièrement discret pendant la campagne, presque invisible, il réussit le tour de force de se faire adouber comme futur Premier ministre en cas de victoire de Nicolas Sarkozy à la présidentielle.

François Baroin et Nicolas Sarkozy, le 9 octobre 2016, lors d'un meeting au Zénith de Paris. (BLONDET ELIOT-POOL / SIPA)

La défaite de son champion au premier tour de la primaire le place, pour un temps, sur la touche, de même que les autres sarkozystes. Paradoxalement, c'est au moment le plus critique pour François Fillon, empêtré dans les affaires et à deux doigts de se faire déboulonner par les siens, que François Baroin va lui apporter un précieux soutien.

Sa présence au rassemblement du Trocadéro, le 5 mars, en présence d'autres soutiens de Nicolas Sarkozy, a sonné le glas d'un éventuel retour d'Alain Juppé. Ironie de l'histoire, François Baroin a réussi à se rendre indispensable, au moment où son rival Bruno Le Maire, autre futur Premier ministre potentiel, a claqué la porte de la campagne. Désormais en première ligne, le fils de Chirac, converti au sarkozysme vivra peut-être son heure de gloire… sous Fillon.

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