Vrai ou faux
Immigration : les étrangers retenus dans les centres de rétention administrative sont-ils dangereux ?

Après le meurtre de Philippine, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau veut allonger la durée de rétention des étrangers sans-papiers dans les centres de rétention administrative car, selon lui, ces personnes "présentent un certain nombre de dangers".
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le centre de rétention administrative d'Olivet dans le Loiret, le 6 mai 2024. (MARIE DORCET / FRANCE BLEU ORLÉANS)

Les centres de rétention administrative (CRA) sont tristement revenus dans l'actualité avec le meurtre de la jeune Philippine, une étudiante de 19 ans dont le corps a été retrouvé le 21 septembre dans le Bois-de-Boulogne, en région parisienne. Le suspect, un Marocain sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF), avait déjà été condamné pour viol, purgé une peine de prison, puis avait été conduit dans un CRA avant d'en ressortir juste avant les faits. 

Depuis, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau veut prolonger la durée maximale de rétention des étrangers en situation irrégulière dans les CRA jusqu'à 210 jours au lieu de 90 aujourd'hui. Interrogé sur RTL jeudi 3 octobre, il a déclaré que "les gens qui sont aujourd'hui en CRA, croyez-moi, ce sont des gens qui présentent un certain nombre de dangers". Vrai ou Faux ?

Un quart des étrangers retenus en CRA sortaient de prison

En vérité, il n'est pas possible d'affirmer ce que dit Bruno Retailleau. Aucun rapport, aucune analyse psychologique globale n'a évalué en soi la dangerosité des 46 955 personnes qui ont été retenues dans l'un des 25 centres de rétention administrative que comptait la France en 2023, ni en 2022, ni toutes les années précédentes.

Pour vérifier les propos du ministre de l'Intérieur, il faut donc en revenir aux faits. Dans un rapport paru en janvier 2024, la Cour des comptes note que "la faible exécution des mesures d’éloignement a conduit le ministère de l’intérieur à prioriser les moyens déployés pour l’éloignement forcé sur les individus qui présentent une menace à l’ordre public ou ont fait l’objet d’une condamnation pénale récente. Depuis août 2022, ces personnes sont placées de manière prioritaire en rétention administrative : elles représentaient plus de 90 % des retenus à la fin de l’année 2022, contre moins de 50 % six mois auparavant". Néanmoins, aucune définition de la "menace à l'ordre public" n'est jamais donnée.

Le seul élément concret qui pourrait indiquer un éventuel niveau de dangerosité des étrangers retenus dans ces centres est leur passé judiciaire. Peu d'informations sont connues à ce sujet, mais on peut en trouver une dans un rapport cosigné par cinq associations qui interviennent dans les centres de rétention administrative, dont France Terre d'Asile et la Cimade, et publié en mai 2024.

Ce travail indépendant donne les conditions d'interpellations des 16 969 étrangers sans-papiers qui ont été retenus dans les CRA de l'Hexagone l'an dernier (les autres l'ont été en Outre-Mer, principalement à Mayotte). On apprend que 26% des étrangers retenus dans ces centres y ont été conduits directement après leur sortie de prison. Autrement dit, un quart des étrangers retenus dans les CRA y sont parce qu'ils ont été condamnés et ont purgé une peine de prison, comme cela a été le cas du suspect du meurtre de Philippine.

La population d'anciens détenus est de plus en plus importante dans les CRA ces dernières années, à la demande du ministère de l'Intérieur. 4 246 étrangers sortant de prison ont été retenus en 2023, contre 3 935 en 2022. Chaque année depuis 2020, entre 23 et 26% des étrangers retenus dans les CRA sortent de prison. Une tendance en hausse par rapport aux années 2010 : environ 8% entre 2014 et 2017, puis 13% en 2018 et 14% en 2019.

La majorité des étrangers dans les CRA n'y sont pas directement parce qu'ils auraient commis une infraction

Si on veut vraiment élargir la focale au maximum, on peut aussi inclure les étrangers qui ont été interpellés car ils sont soupçonnés d'avoir commis une infraction, mais qui n'ont pas été jugés ni condamnés et qui sont donc innocents du point de vue de la loi. Ils représentent 16% des personnes retenues dans les centres en 2023.
 
En additionnant le chiffre de 26 et celui de 16, on arrive à 42%, soit moins de la moitié des étrangers retenus dans les centres qui y sont parce qu'ils ont enfreint ou parce qu'ils sont soupçonnés d'avoir enfreint la loi. La majorité, 58%, y sont juste parce qu'ils sont sans papiers. Ils ont été conduits dans un CRA après un simple contrôle sur la voie publique (33,7% des retenus), un contrôle en gare (3,9%), aux frontières (3,6%) ou sur la route (3,5%), voire après avoir été interpellés à leur domicile, sur leur lieu de travail, au guichet d'une préfecture, dans un commissariat alors qu'ils déposaient plainte, dans les transports ou dans un tribunal.

Et encore, ces chiffres sont très imparfaits. Les associations, qui ont écrit ce rapport, ne savent pas ce pourquoi les anciens détenus retenus dans les centres ont été condamnés. Elles savent encore moins ce qui est reproché à tous ceux qui ont été amenés dans un CRA après une simple garde à vue, sans avoir été jugé ni condamné et encore moins de la vie détaillée des autres retenus.

Les criminels sont "extrêmement rares" dans les CRA

Contacté par le Vrai ou faux, Paul Chiron, chargé du soutien et des actions juridiques à la Cimade, affirme qu'il est "extrêmement rare" de croiser dans les CRA des personnes qui ont été condamnées pour des violences ou des viols, comme le suspect du meurtre de Philippine. Pour Paul Chiron, les 26% de retenus sortant de prison représentent "un agglomérat de plein de situations". Le plus souvent, selon lui, il s'agit d'infractions de droits communs, comme des vols. Il cite aussi l'exemple d'une personne retenue dans un CRA qui avait seulement traversé la rue alors que le feu piéton était rouge.

Le spécialiste affirme qu'il est impossible de dresser un portrait-robot unique des étrangers en situation irrégulière qui sont retenus dans les CRA. Certains étaient en France depuis deux jours, d'autres depuis 40 ans et leur titre de séjour n'a pas été renouvelé. Il y a eu 87 enfants aussi, en 2023. Paul Chiron rappelle que "la dangerosité n'entre pas en compte" dans la décision de placer en centre de rétention administrative. "La seule raison de se retrouver en CRA est de ne pas avoir de papiers." Quand les CRA ont été créés en 1981, il s'agissait simplement d'y retenir des personnes qui allaient être expulsées dans les jours qui venaient, ce pour quoi il n'était pas nécessaire de les retenir très longtemps.

"C'est un amalgame assez classique et redondant de l'extrême droite que de lier délinquance et immigration pour que les Français ne veuillent plus d'étrangers sur leur territoire", observe le chargé des actions juridiques de la Cimade. "Ça démontre un souhait du rejet de l'autre qui est assez inquiétant."

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