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Vrai ou faux
Attentat d'Arras : l'assaillant pouvait-il être expulsé ?

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin affirme que le principal suspect de l'attaque terroriste d'Arras ne pouvait pas être expulsé mais plusieurs personnalités politiques de gauche, de droite et d'extrême droite disent le contraire.
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
La police stationne devant le lycée Gambetta Carnot à Arras, dans le nord de la France, le 14 octobre 2023. (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)

Après l'attentat qui a coûté la vie du professeur de lettres Dominique Bernard à Arras vendredi 13 octobre, les débats se sont rapidement orientés sur le profil du principal suspect. Mohammed M., Tchétchène, originaire de Russie, Fiché S, surveillé activement depuis juillet, était en situation irrégulière en France. Pouvait-il être expulsé ?

Gérald Darmanin contre ses opposants politiques

Face aux accusations de laxisme, le ministre de l'Intérieur a affirmé, dès le lendemain de l'attaque qu'il "n'aurait pas pu, quoi qu'il arrive, être expulsé". Dans une conférence de presse, Gérald Darmanin a assuré que "la loi de la République empêche le ministre de l'Intérieur d'expulser tout citoyen étranger qui est arrivé avant l'âge de 13 ans sur le territoire national". Il l'a répété lundi 16 octobre sur Cnews.

Mais plusieurs personnalités politiques affirment le contraire, comme le président du Rassemblement national Jordan Bardella lundi sur France Inter. "À partir du moment où vous êtes arrivés sur le sol français, même si vous êtes arrivés avant l'âge de 13 ans, si vous portez atteinte à la sûreté de l'État, que vous avez un casier judiciaire long comme le bras et que vous menacez la cohésion nationale, vous pouvez être expulsés", a-t-il martelé.

Le président Les Républicains de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand a affirmé la même chose, en substance, dans le 8h30 de franceinfo de lundi, comme l'ancien président de la République socialiste François Hollande à peu près à la même heure sur RTL, et comme Marion Maréchal, la candidate Reconquête aux élections européennes, sur X. Alors, qui dit vrai ?

Non, la loi n'empêchait pas l'expulsion de l'assaillant d'Arras 

Franceinfo a contacté plusieurs juristes et avocats pour savoir si, du point de vue de la loi, l'assaillant de l'attaque terroriste d'Arras pouvait être expulsé et ils ont répondu, unanimement, que oui, il pouvait l'être, contrairement à ce qu'affirme Gérald Darmanin. L'assaillant d'Arras "pouvait être expulsé dans l'absolu", même s'il est arrivé à cinq ans en France, même s'il n'avait pas déjà été condamné, même s'il n'avait pas de casier judiciaire, a expliqué Serge Slama, professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes, à franceinfo. Mohammed M. n'aurait certes pas pu faire l'objet d'une obligation à quitter le territoire français (OQTF) car il est arrivé en France trop jeune mais il pouvait bien être expulsé via une autre procédure.

Le spécialiste du droit des migrants invoque l'article 631-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, plus communément appelé le Ceseda. Cet article dresse la liste des étrangers qui sont les plus protégés par la loi contre des expulsions et ceux qui sont arrivés en France avant l'âge de 13 ans figurent en effet dans cette liste. Néanmoins, l'article stipule que, même les étrangers les plus protégés par la loi, peuvent être expulsés "en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes".

Du point de vue de la loi, l'assaillant d'Arras, arrivé en France à l'âge de cinq ans, pouvait donc être expulsé par un arrêté d'expulsion préfectoral ou ministériel classique, voire par un arrêté d'expulsion en urgence absolue, à certaines conditions.

Mais la loi était-elle applicable ?

Cependant, il faut confronter la théorie à la pratique. Mohammed M. n'était surveillé que depuis le mois de juillet et récemment Fiché S, ce qui a laissé peu de temps aux autorités pour envisager une éventuelle expulsion même s'il y en avait assez pour une procédure d'expulsion en urgence absolue. Une procédure habituellement réservée à "une poignée de personnes avec des profils très dangereux", selon Serge Slama, qui dépend donc des informations dont disposaient les autorités. Et c'est le cœur du sujet : avaient-elles assez d'informations pour savoir que le suspect allait passer à l'acte ? Le ministre de l'Intérieur a assuré que non, mardi 17 octobre sur RTL.

Il faut souligner que la loi ne définit pas clairement ce que sont les "comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste". Autrement dit : est-ce que ses liens familiaux avec un frère condamné pour avoir préparé un attentat suffisaient à l'expulser ? Ou les signalements faits par les enseignants de Mohammed M. ? C'est un débat de droit administratif qui n'a pas eu lieu. 

Mais Amine Elbahi, juriste chargé d'enseignement en droit à l'Université de Lille et engagé contre la montée de l'islamisme à Roubaix, estime que les raisons qui avaient conduit à ficher le suspect pouvaient être suffisantes pour au moins essayer de l'expulser. Il rappelle que l'imam Hassan Iquouissen a été expulsé en vertu de cet article 631-3 du Ceseda en raison seulement de propos discriminatoires et haineux qu'il avait tenus. Un avocat spécialiste du droit des migrants, contacté par franceinfo, pense la même chose.

L'autre principe de réalité qui s'applique dans ce cas précis concerne les conditions d'accueil dans le pays d'origine. Mohammed M. vient de Russie et il est difficile d'expulser en direction de ce pays depuis le début de la guerre en Ukraine.

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