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Pénurie de moutarde : une vidéo montre-t-elle vraiment des "stocks cachés" pour faire grimper artificiellement les prix ?

Une vidéo partagée des milliers de fois dévoile de nombreuses palettes de moutarde dans ce qui ressemble à un entrepôt. L'homme qui filme assure qu'il livre les magasins Carrefour et "a ordre" de stocker cette moutarde. Pourtant, la grande surface assure à franceinfo que ce ne sont pas ses palettes, qui appartiennent en réalité à un autre fabricant qui démonte la version avancée dans la vidéo.

Article rédigé par Joanna Yakin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 120 min
Une femme fait ses courses en supermarché à Marseille, le 15 juin 2022. (VALLAURI NICOLAS / MAXPPP)

C'est une vidéo partagée plusieurs milliers de fois sur les réseaux sociaux et qui prétend dénoncer une imposture. On y voit des palettes entières de pots de moutarde stockées dans ce qui ressemble à un entrepôt. Un homme, dont on entend que la voix, explique tout en filmant ces palettes qu'il "travaille dans le transport" et "livre les magasins Carrefour".

"Apparemment, il y a une pénurie de moutarde dans les magasins. Ben écoute, je ne comprend pas parce que nous, on en a plein, c'est stocké à mort, explique-t-il. On peut pas les livrer parce qu'on a ordre de les stocker, donc faudrait quand même qu'on nous explique."

Cette vidéo a suscité de nombreux commentaires d'internautes, interpellant parfois directement le groupe Carrefour et lui demandant de rendre des comptes. Elle a aussi été largement partagée par des comptes Twitter tenant des propos complotistes, ainsi que des personnalités ou des groupes opposés à la vaccination contre le Covid et/ou au pass sanitaire. On peut ainsi la retrouver sur le compte Twitter du "Convoi de la Liberté", de l'ancienne actrice Véronique Genest ou encore le compte "Verity France", qui se présente comme une association de victimes d'effets secondaires de la vaccination contre le Covid.

Capture écran du compte Twitter de Véronique Genest, le 11 juillet 2022. (CAPTURE D'ECRAN TWITTER)

Carrefour se défend

Dans un premier temps, le service client Carrefour a posté plusieurs messages pour répondre à l'interpellation des internautes. "Dès que nous avons des produits en entrepôts, nous faisons notre maximum pour les acheminer en magasins le plus vite possible. Certains d’entre eux, comme la moutarde de Dijon, sont néanmoins plus compliqués que d’autres à approvisionner", pouvait-on notamment lire le 10 juillet.

Contacté par franceinfo, le groupe Carrefour a toutefois fini par affirmer, "après enquête interne", que les palettes visibles sur les images ne lui appartiennent pas et dénoncer "un montage fallacieux visant à nuire" à l'image de l'entreprise.

Les explication de l'entreprise Reine de Dijon

Si l'auteur de la vidéo et le lieu où les images ont été tournées restent inconnus, franceinfo a toutefois pu retrouver le propriétaire des palettes. Il s'agit de Reine de Dijon, numéro trois de la moutarde en France, basé en Bourgogne. L'entreprise assure avoir reconnu ses palettes, notamment grâce aux étiquettes visibles sur le film plastique entourant les pots de moutarde. Son patron assure que les étiquettes présentent un code qui lui est spécifique.

D'après lui, cette vidéo est donc en partie une "fake news" : si les palettes de moutarde sont bien réelles, l'interprétation qui est faite de leur présence en aussi grand nombre est erronée. Reine de Dijon explique que les palettes ont été vendues au groupe Leclerc et récupérées seulement la semaine dernière. Des indices pouvaient effectivement indiquer qu'il ne s'agissait pas (au moins en partie) de produits Carrefour. Comme l'a repéré un internaute, la vidéo semble montrer des produits de la marque repère Rustica, vendus chez Leclerc et non pas Carrefour. Reine de Dijon confirme que la moutarde Rustica est bien fabriquée par ses soins.

Contactée par franceinfo, le fabricant de moutarde exclut, par ailleurs, l'idée que Leclerc retiendrait ces palettes volontairement pour simuler une pénurie. Il explique qu'il s'agissait précisément d'une commande un peu particulière puisque quatre semaines de commandes ont été regroupées en une seule livraison. Concrètement, au lieu de passer récupérer des chargements toutes les semaines, Leclerc aurait chargé "6 à 7 camions" d'un coup explique Reine de Dijon, qui par ailleurs assure qu'il ne pourra fournir aucune nouvelle livraison avant la fin du mois de juillet en raison de la pénurie.

Chaque camion transportant une trentaine de palettes, le groupe n'est donc pas étonné de voir autant de palettes réunies au même endroit. Il ajoute que si les palettes arrivent dans un premier temps dans un grand entrepôt central, elles sont ensuite redirigées en régions pour être dispatchées dans les différents magasins du territoire, ce qui peut prendre un à trois jours. Contacté, le groupe Leclerc "confrme ne pas réaliser de stockage de moutarde en vue de faire croire à une pénurie". L'enseigne explique que "l'exécution des tâches logistiques (tri, répartition, récupération et acheminement des lots de produits vers les différents points de vente) nécessite en revanche quelques heures voir quelques jours". Leclerc estime qu'il "n'est donc pas surprenant que plusieurs palettes se retrouvent en transit de manière très ponctuelle sur une plateforme en attendant leur dispatch".

Le fabricant de moutarde Reine de Dijon, mais aussi les enseignes de grande distribution et des experts confirment par ailleurs qu'une pénurie de moutarde est bien en cours. La sécheresse qui a frappé le Canada, premier exportateur mondial de graines de moutarde, entraîne un manque de matière première en France pour fabriquer de la moutarde. Cette pénurie a par ailleurs bel et bien des conséquences sur le prix de la moutarde qui a bondi de 14% en un an d'après le cabinet d'études spécialisé IRI

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