Medellin : un téléphérique pour faire prendre l'air aux quartiers
Le minibus grimpe difficilement la côte et s'arrête avant un virage raide. Un jeune homme habillé d'un tee-shirt vert, assis sur une chaise en plastique, fait signe au chauffeur d'avancer. Ils sont quelques-uns, comme ça, des habitants du quartier, sur le bord des routes, à discuter et faire la circulation. Plus haut dans la montagne autour de Medellin, se trouve le quartier informel de la Sierra. Le minibus se lance sur la seule route étroite qui mène dans ce "barrio", l'un des plus pauvres de la 2ème ville de Colombie, et un des plus dangereux. Il était contrôlé par un groupe paramilitaire jusqu'à la "trêve" comme l'a montré le documentaire de Scott Dalton tourné en 2005.
La ville, avec l'aide d'un prêt de l'Etat français, va faire construire un tramway et deux téléphériques pour permettre plus de mobilité et "inclure" la population de ce quartier dans le reste de la ville. A Medellin, deux quartiers ont déjà des téléphériques, mises en place en 2004 et 2008. Là où elles ont déjà été installées, les cabines ont permis de désenclaver ses populations très défavorisées car le centre de la ville est très loin. En Colombie, comme dans de nombreuses villes d'Amérique latine, plus on habite dans les hauteurs, plus on est pauvre.
15.000 tués par an
En face d'une école d'où s'échappe un brouhaha enfantin, Carlos, le regard bleu affable attend devant sa petite épicerie. Il vend "toutes sortes de graines ", riz, haricots, des yaourts, des jus, et des bières aussi. Il vit dans la Sierra depuis une vingtaine d'années. Aujourd'hui, même avec le sourire, sous son chapeau, Carlos avoue qu'il "survit ". Le téléphérique, "metrocable", comme on dit ici, arrivera tout près de chez lui.
Le metrocable "va améliorer le quartier, il y aura moins de violence " espère Carlos. Dans les années 1980 et 1990, des pans entiers de Medellin étaient contrôlés par les cartels de la drogue, surtout celui du "baron" Pablo Escobar. Il avait fait de Medellin son repère et des quartiers, un vivier pour recruter des jeunes. Jusqu'en 1995, la ville enregistrait 15.000 homicides par an (pour comparaison, la France, c'est 8.000 par an), aujourd'hui, c'est 950. Dans la Sierra, "il y avait beaucoup de vols, et d'extorsions ", raconte Carlos. Il attend que le métrocable "valorise le quartier ".
"Les taxis ne montent pas ici" (une habitante de la Sierra)
Un peu plus bas, deux vieilles dames montent péniblement un petit chemin, suivi d'un homme qui porte un énorme sac sur le dos. S'ils veulent descendre, les habitants de la Sierra doivent emprunter ces petits chemins abrupts ou descendre des centaines de marches.
Devant sa maison, repeinte en orange et vert l'année dernière, Estella, la trentaine, parle avec sa mère. "Elle habite un peu plus haut mais je ne vais jamais la voir ", confie-t-elle. L'isolement est grand. Entre les habitants eux-mêmes et entre ce barrio et la ville. "Les taxis ne montent pas ici ", raconte une habitante. L'image du quartier est trop mauvaise. Il faut donc prendre un minibus. Ou plusieurs pour atteindre le centre-ville. Et payer à chaque fois. Avec un ticket, le metrocable va changer tout ça.
Projet Ayacucho
Le metrocable, c'est le projet Ayacucho financé par la ville de Medellin, notamment grâce à un prêt de l'Agence française de développement (AFD). Un prêt de "200 millions d'euros sans garantie du gouvernement sur 20 ans ", explique Fabrice Richy, directeur de l'AFD de Colombie. Cette dernière a été créée en 2009, notamment pour aider la transformation urbaine du pays. Une transformation lancée par la ville de Medellin au début des années 2000. "Nous finançons les projets inclusifs et verts, c'est-à-dire ceux qui se font dans un sens de solidarité et qui sont durables d'un point de vue environnemental ".
Ce chantier va "complètement transformer le quartier ", selon Fabrice Richy, "on estime le nombre de personnes touchées par ce nouvel accès à la ville à 350.000, soit plus de 10 % de la population de Medellin ". Ce projet comporte une ligne de tramway, connectée à deux metrocables qui grimperont jusque dans la Sierra. Deux entreprises françaises y participent. La société iséroise Poma, qui fabrique les cabines et gère la mécanique. Elle emploie quatre ingénieurs colombiens pour l'instant et prévoit de doubler le nombre. Et l'entreprise alsacienne Translohr, spécialisée dans les tramways. C'est elle qui a remporté l'appel d'offres car elle est la seule à construire des tramways sur pneu capable de monter une pente de 10 %. Pour la petite histoire, la commande de l'AFD a permis de sauver la boîte. Elle était en grande difficulté financière et ce contrat l'a remis sur les rails.
Dans son petit kiosque entouré de poussières et de bruits, Alberto sourit. A la question "Que vendez-vous ", il répond, l'œil malicieux, "Tout ce qui rend les femmes belles ". Il est content des travaux. Son quartier, surnommé "Le trou " va bientôt être connecté au reste de la ville. Pour l'instant le chantier fait fuir les clients mais cela va changer. Il en est sûr. Le metrocable, "c'est ce qui peut arriver de mieux à la ville. Elle sera plus agréable et moins polluée. Il y aura plus de monde qui visite. Moi je vais refaire l'extérieur de mon magasin, refaire un peu de peinture et je vais embaucher du personnel ".
Cheval de Troie
Avec ce téléphérique, la ville veut continuer sa politique de "reconquête des territoires ". Pendant toute la période Escobar, "la police, l'action publique, les fonctionnaires n'allaient plus dans les quartiers car c'était trop dangereux ", explique Fabrice Richy. Désormais, il y a des espaces publics, des bibliothèques, des hôpitaux. La ville a aussi créé des structures pour les parents et les jeunes enfants. Buen Comienzo ("Bon départ " ), Stéphanie, 18 ans, y vient tous les jours avec sa fille d'un an et demi. "On apprend à donner à manger à nos enfants, ce qui est bon, ce qui ne l'est pas ", raconte-t-elle, "comment l'accompagner dans ses premiers pas et le faire vacciner ". La lutte contre la délinquance commence par l'éducation.
Pour le maire de Medellin, Anibal Gaviria, ce téléphérique a été un "cheval de Troie " qui a fait baisser la violence. La ville est sortie du top 20 des villes les plus dangereuses au monde en 2013. Cependant, certains habitants des quartiers nouvellement connectés au centre-ville, sont toujours sur le qui-vive. Luz-Elena, la mère de Stéphanie, travaille dans la structure Buen Comienzo. Elle est ce qu'on appelle une "déplacée ".
Depuis le début du conflit, dans les années 1980, trois millions de personnes ont été obligées de quitter leur maison pour vivre ailleurs, plus en sécurité. A Medellin, cela concerne 400.000 personnes. Luz Elena a fui son quartier lorsque son mari a été tué au début des années 2000. Elle s'est installée à San Javier mais n'arrive pas à être tranquille. "Les paramilitaires qui ont tué mon mari pensent que je les ai dénoncés. Ils ont menacé ma famille, mes filles, c'est pour ça que je suis partie. Mais je sais que les menaces reviendront un jour ".
Plus vite qu'un riche
Le maire de Medellin l'avoue. Il y a encore des progrès à faire. La délinquance et la pauvreté ont baissé, mais pas les inégalités. Sauf en matière de transport. Les cabines ont apporté une certaine égalité, qu'Anibal Gaviria explique en donnant un exemple surprenant : "Un habitant de Medellin des strates 1 et 2 (les plus pauvres) assis dans un metrocable peut aller plus vite qu'un habitant de la strate 6 (la plus riche) dans sa Mercedes coincée dans les bouchons ".
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