Des lacunes dans le signalementC'est le chiffre noir de la maltraitance en France : deuxenfants meurent tous les jours sous les coups. C'est la pédiatre etépidémiologiste Anne Tursz qui est parvenue à ce résultat. En compilant lesdonnées de tribunaux et d'hôpitaux, cette directrice de recherche à l'Inserm aestimé à 250 le nombre de décès annuel d'enfants de moins de un an victimes de maltraitances. "Bien loin des 17 à 20 des statistiques officielles de mortalité ", souligne-t-elle. En extrapolant, elle évalue à 600 à 700 le nombre de décès desmoins de 15 ans. Soit deux par jour.D'après une étude publiéeil y a 4 ans dans la revue médicale The Lancet, 10% des enfants sont maltraitésdans les pays développés. Or en France, 2% des moins de 18 ans sont suivis parles services sociaux. Ce qui laisse à penser un problème de détection. "Il y a une grande frilosité des médecins à signaler [les cassuspects] , estime le psychiatre Gérard Lopez, auteur de "Enfantsviolés et violentés : le scandale ignoré" (éditions Dunod), certains ont peur de représailles ". Et on ne peut pas dire qu'ilssoient encouragés par leurs pairs. L'Ordre des médecins parisien a appelémi-janvier les praticiens à la prudence dans les signalements*.Des travailleurs sociaux pas assez intrusifs ?Dans plusieurs affaires récentes, les services sociauxavaient été alertés. Pour Marina en 2009, mais aussi pour Lorenzo, 10 mois, retrouvémort de soif et de faim dans son lit en 2010, ou encore pour la famille de lafillette dont le corps a été retrouvé fin janvier dans la forêt deFontainebleau. Pour l'association La voix de l'enfant, qui se portegénéralement partie civile dans ces affaires, il faut muscler les enquêtessociales sur les cas signalés : deux travailleurs sociaux distincts, unpour la famille et un pour l'enfant, des visites au domicile sans prévenir, lesoir et le week-end. Martine Brousse, déléguée générale de l'association,rapporte ainsi les propos d'une jeune fille maltraitée : "Noussavions avec mon frère quand l'assistante sociale venait, car la veille nosparents lavaient la maison, nous lavaient, repassaient nos vêtements, et lesoir on repassait à la casserole ". Un discours qui ne passe pas du côté de l'ANAS,l'Association nationale des assistants de services sociaux. "Deuxtravailleurs sociaux, c'est vouloir d'entrée de jeu séparer l'enfant desparents" , répond Laurent Puech, vice-président. Il refuse d'êtretransformé en "policier social " qui ne préviendrait pas de savenue. "On peut demander une ouverture de porte aux forces de l'ordre sivraiment on est très, très inquiet , précise-t-il, mais cela doit resterexceptionnel" . Discontinuités entre acteurs de la protection infantileC'est une des failles pour laquelle le constat sembleunanime. Il faudrait mieux coopérer entre médecins, écoles, services sociaux,afin d'avoir une vision complète du puzzle familial et éviter les vuestronquées. De nombreux professionnels réclament également un référentielnational pour que tous les acteurs nomment les situations à risque de la mêmemanière et se comprennent bien. Cela passe notamment par de la formation.Certaines familles peuvent aussi disparaître des écransradars en déménageant. Le gouvernement promet pour les semaines à venir ledécret d'application de la loi de mars 2012, qui doit permettre aux servicessociaux de consulter le dossier CAF de ces familles. Si elles touchent desallocations et les ont faites suivre, leur nouvelle adresse doit y figurer.Autre problème, selon Michèle Creoff qui dirige le servicefamille-enfance au Conseil général du Val de Marne, la prégnance d'une"idéologie familialiste ", qui privilégierait au-delà du raisonnablele maintien de l'enfant dans la cellule familiale. Elle évoque la situationd'une petite fille de moins de deux ans et d'un garçon de 5 ans vivant avecleur mère "gravement malade mental e". "Nous avons demandéplusieurs fois la mise à l'abri des enfants, mais le juge a refusé ",raconte la chef de service. "La petite fille présente déjà des troublesautistiques, nous avons vu sa santé se dégrader. C'est un sentiment de colèreet d'incompréhension ". Au ministère de la Famille, on assure vouloir "contrebalancer la tendance familialiste " par un travail deformation des professionnels. "On est allé très loin dans le maintien audomicile de l'enfant ", indique-t-on.Le coût de la protectionDes choix qui ont aussi des conséquences budgétaires. Lesprix varient selon les départements, mais un placement en foyer coûte environ 180euros par jour et par enfant. 60 euros dans une famille d'accueil. Une mesurede suivi à domicile coûte une quinzaine d'euros par jour. Ce qui n'empêche pascertaines de ces mesures de rester en souffrance. Dans le Val de Marne, 150 sonten attente d'application après avoir été ordonnées par la justice. Avec desdélais allant jusqu'à un an. "Pendant ce délai , relate Evelyne Monpierre,juge des enfants à Créteil et membre de l'Association française des magistratsde la jeunesse et de la famille, un père a agressé de façon extrêmement gravela mère et les deux enfants ".*Le quotidien du médecin (15/01/2013).