Les djihadistes et la rébellion syrienne : le pacte des armes
Sur la frontière syrienne, chaque rencontre peut, un peu
comme un rideau qu'on soulève, vous faire découvrir d'un coup un autre paysage.
Cette rencontre, c'est un gars aux joues rougies par le soleil de plomb, aux
cheveux en pétard, qui fait du stop à
droite de la route. Il arrive d'Alep, ancien poumon économique du pays devenu un laboratoire des rapports de forces entre les factions en conflit. Il dit
sur un rythme saccadé, comme s'il venait d'échapper à un danger, que
"l'État islamique est maintenant très puissant dans la ville. Il fait
régner l'ordre et la sécurité. Personne ne cherche à contre balancer son pouvoir. "
"L'État islamique ", de son nom complet "l'État islamique en Irak et
au Levant ", est un groupe djihadiste venu d'Irak qui a commencé à se développer en Syrie
autour du mois de mars. Il est aujourd'hui implanté dans le nord, près des
frontières, et à l'est. Son fondateur est affilié à Al-Qaida. Ses membres
agissent la plupart du temps visage masqué. Ils sont soupçonnés d'être derrière
la série d'enlèvements qui a touché plus d'une quinzaine de journalistes
occidentaux.
Pour autant, sur la frontière syrienne, l'un des combattants
du principal régiment de l'Armée syrienne libre (ASL) à Alep, "Liwa al Tawid" , balaye, avec sa longue barbe, l'ombre d'Al-Qaida qui flotte derrière
"l'État islamique ".
"Il n'y a jamais eu d'Al-Qaida en Syrie"
En fait, deux groupes principaux sont affiliés à
l'organisation terroriste. Le frère de "l'État islamique " s'appelle le front
"Al-Nosra ". De faux frères plutôt, tant les deux
organisations semblent aujourd'hui en concurrence dans certains secteurs.
L'ASL fait avec les djihadistes
Sur le terrain, l'ASL fait avec les groupes djihadistes. Plusieurs Syriens ne cachent pas qu'ils ont eu des problèmes avec eux, mais on sent que la relation est quasi-affective, faite de reconnaissance et de
fraternité dans le combat. Aucun Syrien interrogé n'accepterait que les États-unis
touchent à ces groupes.
"Les moudjahidines font ce que l'Amérique ne peut pas
faire"
Mais le quotidien est moins rose. "L'État islamique ", qui est majoritairement composé de
combattants étrangers, cherche à administrer les villes dans lesquelles il
s'implante pour diffuser sa vision ultra-radicale de la charia.
Dans la ville
d'Azaz, tout près de la frontière, ils ont fait la police contre ceux qui sont au
départ issus de la révolution. Une manifestation à été organisée contre eux. Un
nouvel émir, Abu el Palestinian (un nom d'emprunt), a été nommé.
En interne, il y a à la fois une porosité et des zones
de frottement entre l'ASL et les djihadistes. Mais en externe, les Syriens se montrent protecteurs. Le sujet est
tabou, voire dangereux. Pratiquement aucun témoin ne peut accéder aux zones dans
lesquelles se trouve "l'État islamique ". À Alep, l'auto-stoppeur de la frontière ne
veut pas témoigner. L'ASL n'a apparemment pas prise sur ces groupes, et
aucune volonté de les contenir. Ce pacte des armes à huis clos inquiète les
Syriens les plus modernes qui n'envisagent pas de passer de la dictature au régime
strict de la charia. Les moyens d'action de la coalition nationale syrienne, violemment
rejetée par les soldats de l'intérieur, apparaissent limités.
Les combattants de l'ASL rencontrés pensent que ces djihadistes s'en iront d'eux-mêmes une fois la guerre terminée. D'autres pensent
qu'il faudra faire une deuxième révolution.
Didier François, grand reporter à Europe 1, et Édouard Elias, photojournaliste en mission pour la radio, ont été enlevés le 6 juin dernier au nord d'Alep, par des hommes cagoulés. On ignore l'identité de leurs ravisseurs.
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