L'archevêque de Bangui Dieudonné Nzapalainga, et l'imam Kobine Layama,président de la communauté islamique centrafricaine ne se quittent plus depuisdébut décembre et vivent ensemble à l'évêché de Bangui. C'est ensemble qu'ilsentament une tournée d'une semaine en Europe : Bruxelles, Londres puis Paris.Ils réclament une intervention plus solidaire des pays européens enCentrafrique. Et les deux religieux sont bien décidés à faire de leur séjour en Europeune opération de plaidoyer en faveur de plus d'aide humanitaire et militaire àleur pays. Mais ce lundi, ils ont encore un peu la tête à Bangui. Ils vontsuivre de près les opérations de désignation du nouveau chef d'état detransition. Ils savent bien que c'est une étape cruciale pour que le paysretrouve la paix. Avant leur départ, l'imam et l'archevêque ont d'ailleurs étéconsultés. Leur avis a compté pour établir la "short list" : les 8noms de candidats révélés dimanche. "Ce que nous avons dit aux membres du CNT qui nous ont demandé nosconseils, c'est qu'il faut absolument un choix de raison, un présidentrassembleur qui transcendent tous les partis, qui ne se soit affiché avec aucuncamp en particulier. Le choix ne doit pas se faire en fonction de la confessiondu président mais en fonction de ses compétences et de sa capacité à fédérernotre peuple en souffrance. L'enjeu est important. Il faut sauver le pays.Ensuite ca peut-être un homme ou une femme. Ca n'est pas ce qui compte ",explique Mgr Nzapalainga.Une femme, il y en a une parmi les huit candidats finalistes : CatherineSamba Panza, maire de la capitale Bangui. C'est une femme de caractère qui - le plus possible - est restée neutre ces dernières semaines,dénonçant absolument toutes les exactions commises dans sa ville.Parmi les huit derniers candidats en lice, figurent aussi les fils de deuxanciens présidents : Sylvain Patassé et Désiré Kolingba, respectivementfils des présidents Ange-Felix Patassé, au pouvoir de 1993 à 2003, et André Kolingba,de 1981 à 1993. Et puis, il y a Emile Gros Raymond Nakombo, un banquier enfaveur duquel des manifestants ont défilés ces jours-ci à Bangui.Ces derniers jours, il y a aussi eu dans le pays de nouvelles attaques decivils. Au moins cinquante civils musulmans ont été tués ce week-end à Bouarprès de la frontière camerounaise. De nombreux centrafricains musulmans craignent la désignation d'un président chrétien et un regain de violences dela part les milices à majorité chrétienne. Apeurés, ils fuient et c'estsur la route qu'ils se font ainsi souvent attaquer. Avec cet exode, il y a unrisque de partition du pays en deux : les musulmans au nord et à l'ouest et leschrétiens dans le sud et à Bangui."Ce serait un drame, une catastrophe ", commente l'Imam Kobine Layama, président de la communauté islamique centrafricaine."C'est une désolation de voir cette migration de mes frères musulmansqui ont peur des lynchages, des décapitations à la machette. Leur fuite, can'est pas non plus une bonne nouvelle pour le pays d'un point de vueéconomique. Car les musulmans centrafricains détiennent 70 % de l'économie dupays. Ils sont indispensables pour reconstruire la Centrafrique."1600 soldats français, ça ne suffit pas dutout" La reconstruction, laréconciliation ? Le pays semble en être encore loin. La tâche qui attend leprésident qui sera nommé aujourd'hui est énorme. Il va se retrouver à la têted'un pays est à genoux. Il n'y a plus d'état, plus d'administration, plus detissu économique. Et la haine est partout, tenace."La mission du nouveau président de transition,de recoudre la nation en lambeaux", explique Monseigneur Nzapalainga. "Les Centrafricains aspirentà la sécurité. Le souhait du million de personnes déplacés qui vivent dans descamps sordides c'est seulement de rentrer chez eux. Mais comment rentrer à lamaison si mon voisin a une arme et peut me tirer dessus dès mon retour ?"s'interroge l'archevêque inquiet. "Et puis il y a le défi del'alimentation. Les Centrafricains sont nombreux à souffrir de la faim. Leschamps ont été désertés. Les prochaines récoltes seront misérables. Il y aaussi le défi de l'éducation. Les enfants doivent pouvoir retourner àl'école. Sans parler du défi de la santé. Les hôpitaux n'ont même plus dematelas, plus de médicaments. C'est terrible", décrit Mgr Nzapalainga. La France, qui a envoyé 1600soldats sur place, et les Nations unis souhaitent des électionsdémocratiques en Centrafrique fin 2014 ou début 2015. Mais cela implique la findes violences et la reconstitution des fichiers d'état civils quasiment tousbrulés au cours des pillages. C'est dans l'espoir d'accélérer lapacification et le processus démocratique que l'archevêque et l'imam ontvoyagé jusqu'à Paris. Ce matin, ils prendront le Thalys. Direction Bruxelles.Ils doivent rencontrer des responsables de la Commission, des représentants deplusieurs Etats et des eurodéputés. Ensuite, ils voleront vers Londres, avantde revenir à Paris en fin de semaine pour une rencontre avec FrançoisHollande, Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian.A chaque interlocuteur - politiques, religieux,médias - ils ont prévu de répéter le même message pressent. "Le messageest clair. 1600 soldats français et 4400 soldats de la force africaine nesuffisent pas pour faire revenir sécurité en Centrafrique, pays de brousse plusgrand que la France. Il y a urgence à ce que l'Union européenne envoie desrenforts importants pour sécuriser plus d'axes et désarmer plus de miliciens.La France a ouvert la marche, mais l'Europe ne peut pas se contenter decela", explique l'imam pour qui l'Union européenne est "un partenaireprivilégié". L'archevêque ajoute : "Notre pays est oublié, délaissé,abandonné. Il doit revenir au cœur des préoccupations mondiales".Et justement aujourd'hui à Bruxelles, lesministres des Affaires étrangères de l'Union européenne doivent donner leur feuvert à l'envoi d'une force européenne d'au moins 500 hommes pour appuyerl'opération française Sangaris. "La situation est terrible. La paix est une urgence ",disent les deux religieux. Eux tentent avec leurs mots d'en montrer le chemin.Depuis le 5 décembre, les deux infatigables religieux ne se quittent plus. L'archevêque grand et assez costaud toujours aux côtés de l'imambien plus petit et plus sec. Tous deux souriant malgré les drames vus etvécus. Ils vivent ensemble retranchés depuis un mois et demi àl'archevêché et partagent tout."Nous discutons tout le temps. Nousrecoupons sans cesse des informations pour désamorcer les violences dansdifférents quartiers de Bangui. Seul, ça serait impossible de trouver dessolutions. Mais à deux, nous sommes bien plus forts ", dit l'imam."Le fait que nous formions un duo inséparable. C'est un clin d'œil, unmoyen de prouver à la population que musulmans et chrétiens peuvent tout à faitréfléchir et avancer ensemble ", ajoute l'archevêque. Les deux hommesracontent qu'ils prient même souvent l'un à côté de l'autre dans la même pièce."Pour être encore mieux entendus " disent-ils.