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Immigration : la bataille de l'entre-deux tours

Comment convaincre les six millions d'électeurs du Front National qui joueront les arbitres, dimanche, pour le second tour de la présidentielle ? Depuis une semaine, le président sortant Nicolas Sarkozy insiste dans ses discours sur l'importance des "frontières", et agite le chiffon rouge du droit de vote pour les étrangers, qu'il prônait pourtant lui-même en 2005. François Hollande, lui, promet fermeté pour l'immigration clandestine et évoque un débat parlementaire pour fixer le nombre de travailleurs immigrés.
Article rédigé par franceinfo
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Le débat est toujours aussi passionnel, dans une France qui a pourtant une très vieille tradition d'immigration. "Nous sommes l'un des plus vieux pays d'immigration. Nous accueillons des immigrés depuis le XIXe siècle" , rappelle François Héran, ex-directeur de l'Institut National des Etudes Démographiques, où il est toujours chercheur, spécialiste des migrations. Dans son bureau, il montre des graphiques, et livre les chiffres-clés. Il y a en France un peu plus de cinq millions d'immigrés, dont 40% de Français. Leurs enfants, "qui ne sont pas des immigrés puisqu'ils n'ont pas franchi les frontières" , rappelle le chercheur, "sont un peu plus de six millions" . Soit au total, quelque 12 millions de personnes, à peu près 20% de la population en France. Voilà pour ce que les démographes appellent, dans leur jargon, le "stock migratoire" .

200.000 immigrés légaux par an, c'est 0,3% de la population

Et puis, il y a les flux migratoires, qui suscitent les commentaires les plus enflammés. Les derniers chiffres officiels du Ministère de l'Intérieur font état de près de 200.000 nouveaux arrivants chaque année. Des nouveaux arrivants légaux : il y aurait en France autant de sans-papiers, mais le Ministère ne divulgue pas officiellement ces chiffres. Ces 200.000 immigrés légaux qui, chaque année, franchissent nos frontières pour venir travailler, ou retrouver leurs familles, ou en fonder une, sont globalement aussi nombreux depuis environ dix ans. Leur nombre a commencé à grimper dans les années 90, d'abord sous le gouvernement Juppé, puis sous l'ère Jospin ; une tendance alors notable dans toute l'Europe.

Nicolas Sarkozy, à Tours, le 23 avril 2012 : "Au XXIe siècle, les grands pays qui réussissent sont ceux qui ont cru à la Nation et qui ont décidé de faire respecter cette identité nationale"

Ces 200.000 immigrés légaux, le président sortant a décidé de s'attaquer à eux. L'un des grands objectifs de Nicolas Sarkozy est de diviser leur nombre par deux, en cinq ans, notamment en rendant le regroupement familial encore plus difficile : impossible de l'obtenir sans maîtriser le français.
Est-ce une promesse réalisable ? Non, affirme François Héran, sauf à enfreindre les lois internationales, en divisant par exemple par deux le droit de se marier, ou en restreignant le droit d'asile, ce qui n'est pas envisageable selon le chercheur de l'INED. Pour l'immigration légale, Nicolas Sarkozy propose également de réserver le RSA et le minimum vieillesse aux étrangers ayant résidé dix ans et travaillé cinq ans en France. En ce qui concerne l'immigration clandestine, il suggère un référendum pour un juge spécifique et unique pour les migrants illégaux. Il souhaite aussi renforcer la capacité des centres de rétention.

François Hollande : une "lutte implacable" contre l'immigration clandestine et un débat annuel au Parlement pour définir le nombre de travailleurs immigrés

François Hollande, de son côté, veut surtout s'attaquer à l'immigration clandestine. Il promet une "lutte implacable" , et des brigades spécialisées contre les filières (brigades qui existent déjà). Le candidat socialiste assure qu'il n'y aura aucune régularisation massive, comme ce fut le cas par le passé. Pour les immigrés légaux, pas question de réduire leur nombre de moitié. Mais François Hollande lance l'idée d'un débat annuel au Parlement pour évaluer le nombre nécessaire de travailleurs immigrés. Idée, entre parenthèses, que Nicolas Sarkozy avait eue lui aussi en 2006, avant de l'abandonner, remarque Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS et au CERI, spécialiste des migrations. Pour elle, en tout cas, un tel débat, qui existe aux Etats-Unis, au Canada, ou en Australie, est bonne. "Ça ne fait pas partie de la tradition française, mais ça donnerait plus de légitimité à cette question migratoire, et puis ça montrerait l'utilité économique de l'immigration. Il y a des besoins sur le marché du travail qui sont remplis par l'immigration. Si on se promène dans la rue à Paris, on s'aperçoit que le marteau-piqueur est rarement tenu par un blanc" , précise la chercheuse. Elle ajoute que les "politiques migratoires ont un assez faible impact sur les tendances des flux migratoires. Les immigrés ont une grande faculté d'adaptation. Si l'immigration de travail est fermée, ils vont tenter des demandes d'asile, ou le regroupement familial. Si les frontières sont fermées par des murs infranchissables, ils vont arriver par d'autres voies" .

La tendance s'observe dans toute l'Europe, avec une explosion de l'immigration en Espagne. L'Espagne, qui comme quelque 15 pays d'Europe a accordé le droit de vote des étrangers, véritable chiffon rouge aujourd'hui dans la campagne de l'entre-deux tours. Ce droit de vote aux élections locales est proposé par François Hollande, comme il l'avait été par François Mitterrand il y a plus de trente ans. Nicolas Sarkozy lui, est désormais vigoureusement contre. En 2005, alors qu'il était ministre de l'Intérieur, en charge des questions d'immigration, il se disait pourtant ouvert au vote des immigrés, aux élections municipales. "Pour des étrangers présents depuis dix ans sur le territoire national, respectant nos lois, payant leurs impôts et ayant des papiers, j'y suis favorable" , déclarait alors au micro, Nicolas Sarkozy.

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