Hénin-Beaumont : la recette du succès FN
Si le FN réussit là-bas cet exploit, c'est qu'il avait fait de cette ville "comme un laboratoire ". Le nouvel édile refuse ce terme, mais clairement Hénin-Beaumont était une cause nationale depuis 2007 pour le parti, qui y a concentré des moyens financiers et humains importants. Marine Le Pen y a même installé sa domiciliation. Le but de Steeve Briois, c'était d'apparaître comme un vrai prétendant à l'hôtel de ville. Pour cela, il a tout misé sur le social.
Forcément le social, dans ce berceau du syndicalisme minier où le chômage dépasse 18 % et où des Fermetures d'usines ont eu lieu en série : Electrolux, Metaleurop, Samsonite...
"On avait lancé en début de campagne un questionnaire sur les préoccupations des habitants à Hénin-Beaumont. Il en était ressorti clairement que c'étaient les questions de l'emploi et du logement qui les intéressaient le plus. Nous avons ajusté notre projet pour répondre à ces besoins ", explique Aurélia Beigneux, élue sur la liste FN et vraisemblable future adjointe aux affaires sociales.
Tout miser sur les thématiques sociales
Lorsqu'on lui demande si c'est sciemment qu'ont été quasi écartées les thématiques de l'insécurité et de l'immigration, la jeune femme de 33 ans qui est par ailleurs préparatrice en pharmacie répond qu' "on ne mène pas une campagne au niveau local comme au niveau national et qu'il faut s'adapter ". Aurélia Beigneux ajoute toutefois que, selon elle, le caractère social du FN est bien dans son ADN : "Le Parti socialiste n'a de social que le nom. Le seul vrai parti social, c'est le Front national ".
En cela, la campagne électorale menée ces derniers mois à Hénin-Beaumont n'a pas grand-chose à voir avec les campagnes menées par les candidats FN dans le sud-est de la France, où là, les thèses du parti sur l'immigration prennent une place prépondérante dans les débats et réunions.
A Hénin-Beaumont, cet aspect-là du parti est quasi gommé. Résultat : même le boucher halal de la place de la République d'Hénin-Beaumont n'affichait pas une mine tellement inquiète hier.
L'immigration, pas un problème
La mini manifestation anti-fasciste organisée hier dans la ville à l'initiative de militants parisiens de SOS racisme et de l'UJF (Union des étudiants Juifs de France) sonnait presque faux. Même des personnalités de gauche ont trouvé ce rassemblement incongru, à l'image de l'écologiste de 27 ans, Marine Tondelier, numéro deux sur la liste du maire sortant le divers gauche Eugène Binaisse.
Pour la jeune femme, "ce rassemblement était en total décalage avec la réalité du vote FN à Hénin-Beaumont ". "La question du fascisme, ça n'est pas du tout le problème ici, soyons honnête ", ajoute-t-elle. Elle et d'autres militants de gauche de la commune rappellent que ce secteur a été marqué par des vagues successives d'immigrations depuis un siècle et "que le brassage s'est toujours fait dans l'harmonie et la joie ".
"Au fond de la mine, polonais, italiens, maghrébins, français, nos grands-parents avaient tous des gueules noires. Par essence, nous sommes ici une terre de tolérance, une terre d'accueil. D'ailleurs, les scores ont montré que nous avions très bien accueilli Marine Le pen qui a pourtant été complètement parachutées ici pour les élections législatives ", commente la jeune élue verte qui ne supporte pas les idées reçues venues de Paris, selon lesquelles même dans le Pas-de-calais, "FN = fachos et homophobes ".
Pas de provocations, des propositions
Il est clair que dans ce bassin minier sinistré économiquement, le vote FN est en grande majorité un vote de déception face aux scandales politco-financiers des dernières années, et un vote de détresse face à un avenir bouché, pas un vote de rejet de l'autre.
Et Steeve Briois a bien compris tout cela, lui qui a choisi, d'incarner depuis longtemps et au quotidien un FN très policé. Il rejette d'ailleurs la dénomination d'extrême droite, lui qui a cité Jean Jaurès dans ses vœux de janvier dernier, lui qui ne commet aucun dérapage à la "Jean-marie Le Pen". A Hénin-Beaumont plus qu'ailleurs, le Front National version "traditionaliste-provocateur" a été abandonnée.
Steeve Briois est un homme calme et serein. Il jure qu'avec lui, il n'y aura pas de préférence nationale. Quand on lui demande s'il est prêt en tant que nouveau maire à célébrer des mariages homosexuels, il répond : "oui, évidemment c'est la loi ! "
Il devrait développer un peu de vidéosurveillance dans la ville mais dans son programme, il est surtout question de redresser les services publics, de réaménager la piscine, de proposer du bio dans les cantines. De quoi rassurer les habitants qui saluent surtout la disponibilité de celui qui ne manque pas un thé dansant, et qui s'est présenté à toutes les élections locales dans le secteur depuis ses 20 ans.
"Il est l'enfant du pays, bien enraciné ici. Il est très aimé parce qu'on le sent proche de nous ", se réjouit, Sylvie, gérante d'un café du centre ville. Ce qu'elle apprécie le plus chez lui, dit-elle, c'est "sa modération ". "Je n'ai jamais entendu la moindre grossièreté dans la bouche de cet homme-là ".
Sylvie est certaine que même aux affaires, Steeve Briois continuera d'être à l'écoute de chacun, et saura respecter son opposition.
Un agrégé d'économie, adjoint aux finances
Lionel, sexagénaire et électeur FN de longue date surenchérit : "Regardez bien son programme. Les propositions sont intéressantes, le projet est raisonnable. Il sera le maire de tous les habitants. Pas le représentant de son clan ".
Sandrine, un jeune maman qui promène une poussette dans la rue principale a le sourire car ce matin, même accaparé par les journalistes, le nouveau maire a pris le temps de venir la saluer. "Comme d'habitude, c'est Bonjour, comment allez-vous, mes amitiés à la famille. Pas comme l'ancien maire qui ne nous reconnaissait pas et était toujours au téléphone ", raconte Sandrine
Avoir labouré le terrain, ça a été la recette du succès sur ce territoire où les habitants cultivent parfois la nostalgie du paternalisme patronal de la grande époque des mines, des "charbonnages de France".
Dernier ingrédient de cette victoire FN dès le premier tour : Steeve Briois a su s'entourer. Dans certaines villes, le FN a peiné à boucler ses listes, forçant la main à des retraités de 90 ans, désignant des candidats fantômes. C'est tout le contraire à Hénin-Beaumont. De nombreux membres d'associations connus dans la ville figuraient sur la liste frontiste.
Le premier magistrat a même à ses côtés un certain Jean-Richard Sulzer, agrégé d'économie, ayant travaillé dans le cabinet de l'ancien ministre radical socialiste, Edgar Faure. Le professeur est plus que pressenti pour devenir l'adjoint aux finances d'Hénin-Beaumont. Rien n'a été laissé au hasard.
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