Faut-il interdire la pêche profonde ?
Dans la cabine de pilotage du Jean-Claude Coulon II, l'un des six navires hauturiers de la Scapêche, filiale du groupe Intermarché, une myriade d'écrans d'ordinateurs, de sonars et autres radars tapissent le poste de commandement. Sur une étagère, un livre avec des photos d'espèces de poissons et un petit carnet vert où sont notées les prises accidentelles des dernières campagnes de pêche.
Le principal reproche fait à cette technique de pêche est d'être non sélective. "En 2012, nous avons dénombré 99 espèces prises accidentellement par la pêche profonde ", reconnaît Alain Bisau, responsable des ressources halieutiques à l'Ifremer de Lorient. La pêche profonde au chalut consiste à tirer des panneaux et un immense filet sur les fonds marins qui attrape jusqu'à trois tonnes de poissons.
Pour seulement trois espèces commercialisées
Le filet prend tout ce qui passe à la profondeur où il travaille, généralement en dessous de 400 m, alors qu'il n'y a que trois espèces qui sont commercialisées : la lingue bleue, le sabre noir et le grenadier de roche. Mais Jean-Pierre Le Visage réfute l'image de bulldozer qui détruit tout sur son passage. "Nous ne pêchons pas une centaine d'espèces par trait de chalut. Nous avons 20% de pertes environ et nous travaillons sur des fonds sablo-vaseux ", explique le directeur d'exploitation de la compagnie.
A ces profondeurs, la vie est très lente, tout comme la reproduction des espèces. "Il y a des coraux millénaires, des éponges, des vers ", explique Claire Nouvian, porte parole de l'association Bloom. Plus de 300 scientifiques ont signé un appel pour interdire cette technique de pêche.
"On ne peut pas mettre un chercheur derrière chaque espèce" (Ifremer)
En revanche, les pêcheurs s'appuient sur les analyses d'Alain Bisau, de l'Ifremer à Lorient pour dire que la ressource se porte bien. La ressource des espèces ciblées (lingue bleue, sabre noir, grenadier) certes ! Pour les autres prises accidentelles : "on ne peut pas mettre un chercheur derrière chaque espèce ", dit prudent le scientifique.
La Scapêche, filiale du groupe Intermarché, leader sur ce secteur avec ses six gros bateaux hauturiers, est dans le collimateur des associations. Elle met en avant son poids dans la pêche française. "Si ces espèces nous étaient retirées, cela impacterait 40% de notre activité, de tout notre armement, mais aussi du port de Lorient ", explique Fabien Dulon le directeur de la Scapêche.
600 emplois seraient concernés sur Lorient
Quatre-vingts marins travaillent à bord de ses bateaux, mais pas au large de Lorient, plutôt au large de l'Ecosse, où la compagnie a ses droits de pêche depuis les années 60. Le poisson est débarqué là-bas puis il revient par camion jusqu'en Bretagne. Pour le patron pêcheur, l'impact en terme d'emplois prend en compte les usines de transformation, les transporteurs, les mécaniciens...
Un rapport de la commission européenne parlait d'impact limité sauf sur Lorient où il pourrait toucher 600 emplois. Mais le débat fait l'objet d'une véritable guerre entre les pêcheurs et Bloom. Une bande dessinée postée sur le blog de Pénéloppe Bagieu, célèbre illustratrice, il y a 15 jours a énormément popularisé la cause de Bloom, puisqu'en 24h, sa pétition pour interdire le chalutage profond a gagné plus de 500.000 signatures.
D'autres enseignes de grande distribution ont décidé de se démarquer en mettant en avant qu'elles ne commercialisent pas les espèces d'eaux profondes, ou qu'elles vont les bannir. Un sujet vif en France parce qu'avec l'Espagne elle est une des rares à défendre la pêche de ses poissons. Pourtant, la lingue bleue, le sabre noir et le grenadier ne représentent que 0,12% des espèces pêchées en Europe.
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