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Comment prévenir le radicalisme en prison ?

ENQUETE | Aujourd'hui l'affaire Nemmouche, en 2012 l'affaire Merah à Toulouse, en 1995 déjà l'affaire Kelkal et l'attentat du RER de Saint-Michel… La tuerie de Bruxelles pose une fois encore la question de la radicalisation en prison. Pourquoi trois hommes, jeunes, élevés en France sont-ils devenus terroristes ? Comment prévenir le radicalisme en prison ?
Article rédigé par Ouafia Kheniche
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
  (En 6 ans et demi de détention, Karim n'a jamais rencontré un seul aumônier © Ouafia Kheniche)

Karim Mokhtari a passé six ans et demi en prison. Il est allé dans quinze établissements différents et jamais il n'a rencontré un seul imam. Ceux qui lui ont parlé de religion en détention, ce sont ses co-détenus. Un en particulier qui s'est improvisé imam et affichait clairement son radicalisme. Karim a rapidement compris qu'il attendait de lui qu'il commette des actes violents au nom d'un islam qui n'était pas celui de Karim.

Un piège redoutable

Aujourd'hui Karim a 35 ans. Il est dehors, père de deux enfants. Il pratique un islam apaisé. Mais, à l'époque, c'était un jeune homme en colère, en pleine quête identitaire. En prison, il a failli plonger dans le piège du radicalisme. Un piège redoutable qui vous enferme, vous isole, fait remonter la colère "jusqu'à ce que l'individu soit prêt à exploser dans tous les sens du terme" , explique Karim.

Ces cas d'islamistes radicaux en prison existent, mais ils sont fort heureusement minoritaires. En revanche, ils ont des conséquences sur les pratiquants d'un islam classique qui font ensuite les frais de la méfiance de l'institution pénitentiaire. En effet, l'administration a parfois du mal à faire la différence entre pratique et prosélytisme, comme l'explique l'aumônière régionale de Lille, Samia Al Alaoui. "Un individu qui fait sa prière cinq fois par jour et qui lit le Coran n'est pas un islamiste",  explique-t-elle.

 

  (Samia Al Alaoui est aumônière régionale dans le nord depuis 12 ans © Ouafia Kheniche)

En prison comme ailleurs, l'islam est encore mal connu. Le dialogue entre l'administration pénitentiaire et les aumôniers musulmans n'est pas toujours évident.. Et c'est bien normal, puisque les aumôniers musulmans n'interviennent que depuis les années 90 dans les prisons. Aujourd'hui, ils sont 168 sur les 1.311aumôniers pour l'ensemble des cultes.

Et de l'avis même de Christiane Taubira, ils sont en nombre insuffisant. La ministre de la Justice a d'ailleurs demandé la création de 15 nouveaux postes d'aumôniers musulmans, récemment. 

 

  (Voir un aumônier, c'est aussi trouver quelqu'un à qui parler qu'on soit croyant ou pas © Ouafia Kheniche)

Pour Samia Al Alaoui, la confiance avec l'administration pénitentiaire s'améliore peu à peu. Lorsqu'elle a commencé il y a 12 ans, elle se sentait souvent surveillée, plus que ses collègues aumôniers représentant d'autres religions. Et pourtant, ces aumôniers musulmans font l'objet d'une enquête de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI) qui donne ensuite les agréments afin qu'ils puissent intervenir en prison.

L'administration pénitentiaire les contrôle et elle leur demande de contrôler les détenus musulmans. Les aumôniers comme partenaire du renseignement pénitentiaire … Une ambiguïté que Karim et ses codétenus de l'époque avaient parfaitement saisie. Par conséquent, la confiance avait du mal à s'installer entre les détenus et des imams vus trop souvent comme des agents de la pénitentiaire.

 

  (Karim et ses codétenus n'ont pas en confiance en l'intitution pénitentiaire  © Ouafia Kheniche)

Un rôle ambigu et contreproductif

Ce rôle ambigu et contreproductif est aussi souligné par Céline Béraud, ethnologue. En collaboration avec Claire de Galembert et Corinne Roustaing, elles ont été chargées par l'administration pénitentiaire de rédiger un rapport sur la religion en prison : "L'administration demande aux aumôniers musulmans d'établir un lien de confiance avec les détenus musulmans et à la fois de donner les noms de ceux qu'ils soupçonnent de radicalisme… L'administration se tire une balle dans la pied ", estime Cécile Béraud.

Une collaboration qui n'est donc pas toujours bien vue mais les choses sont en train d'évoluer avec de bonnes volontés des deux côtés. Le ministère de la Justice pourrait d'ailleurs faire des annonces d'ici la fin de la semaine sur le sujet.

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