Pérou : le nouveau président, Pedro Castillo, prend la tête d’un pays fracturé
Le Pérou investit mercredi 28 juillet son nouveau président. Un instituteur de gauche radicale que personne n’attendait et qui se trouve à la tête d’un pays mal en point.
Il y a un an, personne n’aurait misé sur Pedro Castillo. Instituteur de 51 ans, qui cultive ses patates douces dans une ferme près de sa maison, il s’est lancé en politique sans vraiment y croire. Il n’a aucun lien avec les élites politiques, économiques et culturelles du Pérou. Il est juste profondément persuadé d’une chose : "Il ne peut plus y avoir de pauvres dans un pays riche", comme le sien.
Avec son programme de gauche radicale, et son chapeau blanc traditionnel du nord du Pérou, il s’est donc lancé dans la course. Un crayon géant en guise d’emblème de campagne, pour rappeler son parcours, et un cheval sur lequel il arrive parfois en meeting. Il se base simplement sur une expérience : une grève qu’il a dirigée en 2017 pour la revalorisation des salaires des enseignants.
Le président des pauvres
Surnommé "le président des pauvres", il veut se battre pour plus d’égalités. Finies les multinationales qui engendrent des millions de soles (la monnaie du Pérou) : Pedro Castillo veut nationaliser, surtout le secteur du gaz, du cuivre, du lithium et de l’or. Pour sauver les paysans, il veut arrêter certaines importations. Contre le chômage, il veut créer un million d’emplois par an, en développant par exemple les grands projets d’infrastructures et en attribuant les marchés publics à des petites entreprises. Des promesses de campagne qui ont effrayé les milieux d’affaires.
Comme partout, la crise sanitaire a fragilisé l’économie. Au Pérou, le PIB a chuté de 11,12% l’année dernière. Deux millions d’emplois ont été détruits. Aujourd’hui, un Péruvien sur trois vit dans la pauvreté. La situation de l’éducation, chère au nouveau président, inquiète. Les élèves ne sont toujours pas retournés en classe physiquement depuis des mois et un retour en présentiel n’est prévu qu’en mars 2022. Certains réclament la vaccination des enseignants et de tout le personnel du système éducatif. Au niveau national, seule 13% de la population est totalement vaccinée.
Un pays fracturé
Au niveau politique, le pays n’a jamais été autant fracturé. Polarisé entre deux figures : Pedro Castillo et Keiko Fujimori, candidate malheureuse de la droite populiste. Elle s’est battue pour faire invalider l’élection qu’elle a perdu avec à peine 45 000 voix d’écart. Si bien que les résultats définitifs n’ont été donnés que 43 jours après l’élection.
Le socle de base de Pedro Castillo n’est pas large. 18% environ : les militants du 1er tour, qui vont attendre de lui les mesures radicales promises. Au second tour, un tiers de l’électorat a voté, non pas pour ses idées de gauche, mais pour faire barrage à Fujimori, fille d’Alberto Fujimori (1990-2000), l’ancien président aujourd’hui en prison pour corruption et crimes contre l’Humanité. Elle est elle-même accusée d’avoir reçu des pots-de-vin.
Au Congrès, Pedro Castillo n’aura pas beaucoup de marge de manœuvre car son parti Peru Libre est trop minoritaire. Pour la politologue péruvienne Paula Tavara interrogée par l’un des grands quotidiens du pays, la Republica, le nouveau président va devoir être sans cesse dans le compromis : "Il devra construire une relation de dialogue avec le Congrès, les partis adversaires et les partis alliés dans le but de négocier des projets de loi. Il faudra qu’il entretienne la relation la plus cordiale possible."
Les promesses de campagne à l'épreuve des faits
Depuis les années noires du Sentier lumineux, un mouvement communiste armé qui a provoqué de graves conflits et la mort de 70 000 personnes dans les années 80-90, de nombreux Péruviens ont une "peur irrationnelle" de la gauche. Il va falloir que Pedro Castillo développe un discours rassembleur et des mots rassurants. Depuis la validation de sa victoire, il a d’ailleurs déjà fait évoluer son discours. Il a modéré ses paroles sur les nationalisations et sur les arrêts d’importation. Il a promis lundi que "toutes les tendances politiques" seront présentes dans son cabinet, "nous préparons notre équipe de travail et je vois qu'il y a des personnes assez intéressées pour appuyer ce gouvernement, issues de toutes les tendances politiques. Il y a aussi des personnes qui ne sont pas dans la politique, que j'ai vues aujourd'hui et qui sont disponibles."
Sur la réforme de la Constitution, qu’il trouve trop libérale et qu’il avait promis de modifier, il s’est vite ravisé. La Constitution ne bougera pas "jusqu’à ce que le peuple le décide." Depuis les fenêtres du palais présidentiel à Lima et plus les champs de Cajamarca, la distance semble s’installer entre la fonction et les promesses.
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