Tunisie : arrestation de l'avocate Sonia Dahmani en direct devant les caméras, la liberté d'expression menacée
L'interpellation de Sonia Dahmani se déroule en direct samedi 11 mai au soir à Tunis, devant une caméra de télévision. L'avocate et chroniqueuse s'est réfugiée à la Maison des avocats, siège de l’Ordre national des avocats tunisiens (ONAT). Elle assure n'avoir commis aucun acte contraire à la loi et refuse de répondre à une convocation du tribunal.
Ses soutiens la rejoignent, Maryline Dumas est sur place pour France 24 quand une dizaine d'hommes cagoulés font irruption dans les locaux. "On n'a pas vu de carte, on n'a pas vu de papiers", dit la journaliste, toujours en direct à l'antenne. Et quelques minutes plus tard : "Sonia Dahmani a été emmenée par des personnes masquées qui ne se sont pas identifiées".
Ses soutiens crient et tentent de s'interposer. Ils sont bousculés, certains tombent à terre. Sonia Dahmani est extirpée des bureaux, conduite dans une voiture. Puis la police fait tomber la caméra."Vous n'avez pas le droit ! Lâchez mon caméraman !" dit encore Maryline Dumas.
Arrêtée pour une réplique cinglante
La chaîne condamne une intervention brutale qui porte atteinte à la liberté de la presse. De leur côté, les avocats du grand Tunis annoncent se mettre en grève, ils réclament "la libération immédiate" de Sonia Dahmani.
Mardi 7 mai, dans une émission de la chaîne Carthage+, un partisan du président Saied affirme que les migrants venus d'Afrique subsaharienne ambitionnent de coloniser la Tunisie, « pays extraordinaire », dit-il. Mais "de quel pays extraordinaire parle-t-on ?" répond Sonia Dahmani. "Celui que la moitié des jeunes veulent quitter ? »
Sa réplique est jugée "dégradante" pour l'image de la Tunisie, une campagne de dénigrement est lancée sur les réseaux sociaux et une juge formule un mandat d’amener pour diffusion de fausses informations visant à atteindre la Sûreté de l’État et "incitation à un discours de haine".
Deux autres journalistes arrêtés
Le même jour, un présentateur de radio et de télévision, Borhen Bssais, ainsi que Mourad Zeghidi, chroniqueur, sont eux aussi arrêtés en vertu du même décret, le décret 54, qui a déjà permis de poursuivre plus de 60 personnes selon le Syndicat national des journalistes.
Promulgué par le président Kaïs Saïed en septembre 2022, ce texte punit de cinq ans de prison et environ 15 000 euros d'amende toute personne qui "utilise délibérément les réseaux de communication et les systèmes d’information pour produire, promouvoir, publier ou envoyer des fausses informations ou des rumeurs mensongères".
Contexte de crise migratoire
Il n'y a pas que les commentateurs politiques qui sont réprimés. La semaine dernière, des ONG d'aide aux migrants ont subi des contrôles abusifs. La présidente de l'association antiraciste Mnemty ("mon rêve"), Saadia Mosbah, est d'ailleurs en garde à vue pour des soupçons de blanchiment d'argent. Son tort est d'avoir été en première ligne dans la défense de ces migrants subsahariens, qualifiés par le président Saïed de "hordes de clandestins" envoyés en Tunisie avec "la complicité des puissances étrangères" "pour changer sa composition démographique". Au moins cinq autres personnes sont emprisonnées pour leurs activités en faveur des migrants.
Avec la Libye, la Tunisie est l'un des principaux points de départ de l'émigration clandestine vers l'Italie. Depuis l'an dernier, le discours raciste et xénophobe des autorités légitime les violences commises par des Tunisiens à l’encontre des immigrés, pris à partie lors d’agressions racistes. Selon la Garde nationale tunisienne, les interceptions de migrants ont augmenté de 22,5% de janvier à avril par rapport à la même période en 2023, pour dépasser les 21.000 personnes "empêchées de partir ou secourues" en mer.
Depuis que le chef de l'État s'est octroyé les pleins pouvoirs, en 2021, la société civile dénonce un régime de plus en plus arbitraire et liberticide. Dans la relative indifférence de la communauté internationale.
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