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Catalogne : le gouvernement espagnol sur la voie de l'apaisement ?

En Espagne, le gouvernement grâcie aujourd'hui neuf indépendantistes catalans, emprisonnés depuis trois ans et demi pour avoir organisé un référendum illégal sur le statut de leur région. Un geste de "réconciliation" pour Madrid.

Article rédigé par franceinfo
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Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez annonce la grâce de neuf indépendantistes catalans, mardi 22 juin 2021. (EMILIO NARANJO / EFE VIA MAXPPP)

La tentative de sécession de la Catalogne en 2017 reste un véritable traumatisme. L'une des pires crises politiques qu’ait vécue l’Espagne depuis la fin de la dictature franquiste. Une crise qui a, au-delà des violences, profondément et durablement fracturé la société, polarisé le paysage politique.

Aujourd'hui le chef du gouvernement, le socialiste Pedro Sanchez, veut ouvrir une nouvelle page, celle de la réconcilation. "Nous avons perdu trop de temps dans de vieilles querelles", dit-il, "La punition a suffisamment duré." Les dirigeants indépendantistes qu'il veut faire sortir de prison ont été condamnés pour sédition à neuf, dix, voire treize ans pour certains parce qu'ils avaient participé à l'organisation du référendum d’autodétermination interdit par la justice et proclamé unilatéralement l'indépendance de la région, provoquant une grave crise politique, la destitution du gouvernement régional par le gouvernement espagnol et la mise sous tutelle de la Catalogne. Des sanctions jugées disproportionnées par une grande partie des Catalans. Et qui ont contribué à radicaliser une bonne partie de l'opinion.

Renouer le dialogue et retrouver le vivre-ensemble

Jamais ces dirigeants n'ont exprimé de regrets mais "nous n'attendons pas qu'ils changent", explique Pedro Sanchez. "Nous attendons qu'ils comprennent qu'il n'y a pas de voie en dehors de la loi. Et surtout, nous voulons retrouver le dialogue et le vivre-ensemble avec les millions de Catalans. Nous faisons sortir neuf personnes de prison mais cette décision s'adresse à l'ensemble de la société."

Tout pour sortir du blocage de ces dernières années, quand les Catalans accusaient Madrid de rester sourd au dialogue. "Pour arriver à un accord", estime Pedro Sanchez, "Quelqu'un doit faire le premier pas. Le gouvernement espagnol fait le premier le pas maintenant."

A son arrivée au gouvernement en 2018, il avait fait du dialogue avec Barcelone l'une de ses priorités - sa gande différence avec la raideur de son prédécesseur, le conservateur Mariano Rajoy. Ses soutiens voient aujourd'hui un geste ambitieux pour la reconstruction à long terme des relations entre la Catalogne et le reste de l'Espagne. "La vengance n'est pas une valeur constitutionnelle", avait déjà dit il y a quelques semaines le chef de gouvernement.

La mesure est politiquement extrêmement forte, mais pas du tout consensuelle : il suffisait d'entendre lundi 21 juin les huées de certains militants indépendantistes au moment où Pedro Sanchez prononçait son discours dans un lieu emblématique pour les Barcelonais, l’Opéra du Liceu sur la Rambla. Eux voudraient non pas un pardon mais une amnistie qui effacerait totalement les condamnations. Mais en Catalogne, l'opinion publique et les milieux économiques sont majoritairement favorables (68 %) à ces mesures de grâce.

Front commun de l'opposition

Ailleurs en Espagne c'est plutôt le contraire : 61 % des citoyens s’opposent à la mesure, selon un récent sondage du journal El Mundo. La droite et l'extrême-droite font même front commun, montent des pétitions, dénoncent "une manœuvre politique" - et c'est vrai que Sanchez a besoin des indépendantistes pour consolider sa majorité au parlement. 

Mais rien ne peut arrêter ce processus et quand le roi aura apposé sa signature, les détenus pourront sortir de prison. La mesure ne s'applique pas en revanche à ceux qui se sont enfuis à l'étranger pour échapper à leur procès, comme Carles Puigdemont, l'ancien président de région toujours en exil en Belgique.

"L'Etat espagnol va libérer certains prisonniers politiques qui n'auraient pas dû passer un seul jour en prison", disait avant l'annonce officielle l'ancien patron de la région. "Que personne n'essaye de nous faire croire qu'avec des pardons on peut résoudre un problème politique".

Du temps pour faire accepter la mesure

Pourquoi cette décision est-elle prise précisément maintenant, au sortir de la crise sanitaire ? Parce que les prochaines élections en Espagne n'auront pas lieu avant fin 2023, voire début 2024, cela laisse du temps à Sanchez, qui aujourd'hui prend malgré tout le risque à la fois de souder l'opposition et de décevoir une partie de la gauche. Mais si l'économie repart après la crise, notamment grâce au méga plan de relance européen, il fait le pari que cette grâce apparaîtra finalement comme anecdotique et qu'elle ne lui portera pas préjudice. 

Il compte aussi beaucoup sur la capacité de dialogue du nouveau président régional, Pere Aragonés, un indépendantiste modéré a priori plus ouvert au compromis, même s'il n'a jamais renoncé eu référendum d’autodétermination. Le chemin vers la réconciliation sera lent et difficile.

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