Au Nigeria, certains sont prêts à tout pour entrer dans le livre Guinness des records
Au moment où vous lisez ces lignes, certains Nigérians se creusent la tête. Ils cherchent des idées pour battre des records du monde. Depuis deux mois, les tentatives s’enchaînent au Nigeria pour entrer dans le livre Guinness des records : un concours où tout le monde doit s’embrasser pendant trois jours, un live Instagram de 125 heures ou un chanteur qui fredonne pendant 200 heures. Cette mode a débuté en mai dernier après que la Nigériane, Hilda Baci, a décroché le record de cuisine en préparant des plats pendant 100 heures.
1 500 demandes en deux mois
Mais d’autres ne sont pas si chanceux et ratent leur pari. Comme cette jeune femme, Joyce qui, début juillet, a tenté de briser le record de massage le plus long : 72 heures. Elle s’est effondrée, évanouie, au bout de 50 heures tout de même.
Il y a cet homme aussi, devenu célèbre malgré sa défaite : il a tenté de battre le record du plus long pleur. Il était donc parti pour pleurer 100 heures non-stop, mais n’a pas réussi. Pire, il s’est même abîmé les yeux et est devenu aveugle pendant 45 minutes.
Toutes ces tentatives ont même fait réagir le Guinness Book avec un message très clair : "S’il vous plaît, ça suffit avec les marathons". En deux mois, le Guinness a reçu 1 500 demandes de records depuis le Nigeria, soit environ 19% de toutes les tentatives dans le monde. Le célèbre livre reçoit environ 1000 demandes par semaine.
"Au Nigeria, le pouvoir, c’est la capacité à connaître beaucoup de monde"
Alors, pourquoi les habitants du Nigeria sont tombés dans la folie des records ? Certains, comme ce professeur qui va tenter en septembre prochain de lire à voix haute pendant 124 heures, le font pour promouvoir la culture nigériane. La championne Hilda Baci l’a aussi fait pour son pays.
Mais d’autres cherchent la notoriété : remporter un record mondial, c’est gagner en célébrité, en renommé, et donc attirer sur ses réseaux sociaux des abonnés. Plus la communauté grandit et plus on peut se faire de l’argent et devenir influenceur. "La réussite individuelle est fondamentale au Nigeria", explique Laurent Fourchard, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques et ancien directeur de l’Institut français de recherche en Afrique (IFRA) au Nigeria. "Socialement, quand on réussit, qu’on a de l’argent, qu’on a du pouvoir, c’est bien vu". L’expert ajoute qu’au Nigeria, être suivi est très important : "le pouvoir, c’est la capacité à connaître beaucoup de monde", que ce soit sur les réseaux sociaux, en politique ou dans d’autres domaines.
Être connu, cela emmène parfois des cadeaux, des voyages. Dans un pays économiquement à la dérive, cela peut aussi attirer. Dans ce pays pourtant riche en pétrole, "on assiste ces dernières années à une paupérisation des classes moyennes et urbaines", selon Laurent Fourchard. 40% des habitants vivent aujourd’hui dans l’extrême pauvreté. La situation sécuritaire du pays s’est aussi dégradée, "les kidnapping se multiplient", note le spécialiste. Depuis cinq ans, les demandes de visas ont triplé, notamment pour partir aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Pour le spécialiste, cette multiplication de tentatives de records, c’est aussi un message envoyé aux Nigérians du monde. « Il y a un réel décalage entre le succès de la diaspora nigériane -beaucoup de médecins, ingénieurs, banquiers- et l’image des Nigérians restés au pays », analyse Laurent Fourchard, « ceux qui tentent de battre des records veulent montrer qu’ils ont aussi du talent ».
Et les Nigérians qui réussissent leurs paris s’offrent un peu d’oxygène pailletée.
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