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Au Brésil, le numéro 24 est hors jeu... et c'est un signal homophobe

Au Brésil, le nombre "24" est quasiment mis au ban de la société. Personne n'en veut, nulle part, et surtout pas les joueurs de foot. Une pratique qui cache une homophobie profondément ancrée dans la culture populaire.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 92 min
Le joueur de football Gabriel Barbarosa porte un maillot avec le numéro 24, dans le cadre d'une campagne contre l'homophobie au stade Maracana de Rio de Janeiro (Brésil), le 22 février 2020. (DHAVID NORMANDO / AFP)

Au Brésil, vous ne verrez quasiment jamais de footballeur avec le numéro 24. L'Agence France presse s'est amusée à faire les comptes : sur tous les joueurs de première division qui, depuis janvier, s'affrontent en tournoi dans les 27 Etats du Brésil, quatre seulement portent le maillot 24. Le plus célèbre d'entre eux, Victor Cantillo, n'est d'ailleurs pas Brésilien mais Colombien. Dans son pays, il avait toujours porté le 24 car c'était son porte-bonheur. Quand il est arrivé au Brésil, en 2020, le directeur sportif des Corinthians de Sao Paulo lui a dit d'emblée : "Attention, ici, pas de numéro 24 ! " Avant finalement de faire ses excuses et d'accepter.

En Copa Libertadores, l'équivalent latino-américain de la Ligue des champions, les équipes brésiliennes n'ont pas le droit de supprimer le numéro 24. Pour contourner cette interdiction, elles ont trouvé l'astuce : elles l'attribuent systématiquement au troisième gardien, pour être bien sûres qu’il n'apparaisse jamais sur le terrain.

Une pratique homophobe

Ce boycott n'a rien à voir avec de la supersitition. C'est beaucoup plus grave car cette pratique est en fait une posture homophobe ancrée dans la culture populaire brésilienne. Pour comprendre, il faut remonter au XIXe siècle. Un jeu de loto clandestin se jouait dans les rues de Rio. Il est toujours pratiqué aujourd'hui. Dans ce jeu, le "Jogo do bicho" ("jeu de l’animal", en français), les numéros sont associés à des dessins d'animaux. Pour le 24, c'est un cerf.

Or, le cerf – veado en portugais – est une espèce dont les mâles peuvent avoir des relations sexuelles entre eux. En argot, traiter quelqu'un de "veado", c'est le traiter d'homosexuel, de la manière la plus péjorative qui soit. Voilà pourquoi les footballeurs ne veulent surtout pas s'afficher avec un 24 dans le dos : de peur d'abîmer leur image de virilité.

En janvier dernier, dans un tournoi des moins de 20 ans, le latéral de l'América Mineiro qui portait numéro 24 a été la cible de chants homophobes dans les tribunes. Le sujet s'est même invité à la Copa America, disputée au Brésil à l'été 2021. Exceptionnellement, en raison du Covid-19, chaque équipe pouvait appeler jusqu'à 28 joueurs. Toutes les sélections nationales se sont présentées avec un numéro 24, sauf la Seleçao qui passait directement du 23 au 25. L'ONG Grupo Arco-Iris ("groupe arc en ciel" en français), qui se bat pour les droits des personnes LGBT+, a porté plainte contre la fédération brésilienne. L'affaire a été classée sans suite.

Pas de bureau 24 au Sénat

En-dehors des terrains, c'est pareil. Cela peut paraître fou mais certains hommes refusent par exemple de s'asseoir sur le fauteuil 24 au théâtre ou au cinéma, ne veulent pas vivre dans l'appartement 24 d'un immeuble ou encore utilisent deux bougies différentes sur leur gateau d'anniversaire, 23 et 1, plutôt qu'une seule de 24. En 2015, au Sénat, où chaque sénateur a sa pièce attitrée, quelqu'un s'est rendu compte que la porte numéro 25 succédait à la 23, sans que personne ne sache pourquoi. Il a fallu attendre un tollé médiatique et le renouvellement de la chambre pour que le bureau 24 refasse son apparition et que les choses rentrent dans l'ordre.

C'est le reflet d'une société qui rejette profondément l'homosexualité : ce n'est qu'en 2019 que l’homophobie a été reconnue comme un crime au Brésil, au même titre que le racisme. Cette décision de la Cour suprême a cependant été contestée par le président Jair Bolsonaro qui, en novembre 2020, lors d'un discours au siège du gouvernement fédéral, exhortait le Brésil à se battre la tête haute contre la pandémie avec cet argument : "Il faut arrêter d'être un pays de pédés !"

La même année, le ministre de l'Éducation, un pasteur évangélique, expliquait que les adolescents homosexuels venaient forcément de "familles inadaptées". Le parquet de Brasilia a porté plainte début février. La justice va décider si elle donne suite. Légitimée à tous les niveaux de la parole politique, l'hostilité ambiante à l'égard des LGBT n’a fait qu’augmenter (lien vers un article en portugais) depuis l'arrivée au pouvoir de Bolsonaro en 2019. On n'est pas près de revoir le numéro 24 sur un terrain...

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