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"Une présence bienveillante, propice et à laquelle je devais me livrer sans crainte", l’académicienne Chantal Thomas fait l’éloge de l’eau dans son nouveau roman

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, la romancière, historienne, spécialiste du XVIIIᵉ siècle et académicienne, Chantal Thomas. Elle vient de publier "L'étreinte de l'eau" aux éditions Arthaud.
Article rédigé par franceinfo, Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Chantal Thomas, romancière, élue à l'Académie française. (SEBASTIEN BAER / RADIO FRANCE)

Chantal Thomas est romancière, essayiste, dramaturge, scénariste, historienne, spécialiste du XVIIIᵉ siècle, universitaire et académicienne. Elle fait partie de cette famille des touche-à-tout, passionnée, habitée et engagée. Le grand public l'a découverte avec Les Adieux à la reine, qui a reçu le prix Femina en 2002 et qui a été adapté au cinéma par Benoît Jacquot en 2012. Impossible de ne pas citer Le Testament d'Olympe (2010), L'échange des princesses (2013) ou encore Souvenirs de la marée basse en 2018, qui raconte la discrète insoumission de sa mère et de son amour inconditionnel pour la nage libératrice. En 2022, elle a également publié : Journal de nage. Elle vient de publier, un peu une suite de ses derniers romans, L'étreinte de l'eau aux éditions Arthaud.

franceinfo : L'étreinte de l'eau est un condensé de l'entretien que vous avez eu avec Fabrice Lardreau. Vous avez grandi à Arcachon entre deux éléments devenus fondateurs : l'eau et le sable. Deux éléments qui sont au cœur de votre existence et même de votre créativité et inspiration.

Chantal Thomas : Oui, ce livre est à la fois sur comment on est constitué par un paysage originel, un paysage d'enfance et comment, à partir de cette base mouvante, pour moi, ce monde flottant, quelle vision du monde s'édifie à partir de là.

Le point de départ reste le sable. Il a développé chez vous le sentiment d'impermanence, ce qui ne fait que passer. Quel est votre rapport avec le temps qui passe ?

Ma vision du temps qui passe et peut-être ma vision du monde est née, je crois, d'une fascination pour les bancs de sable. J'ai trouvé complètement extraordinaire et d'une beauté flagrante ces îles très momentanées, très fugitives et qui, dans le soleil, apparaissent comme une surface blanche, dorée, une invitation à se promener. Mais en même temps, à marée haute, elles disparaissent comme des mirages, en fait.

J'ai grandi avec la sensation que le monde était un mirage, mais un mirage magnifique.

Chantal Thomas

à franceinfo

Il y a un rapport avec l'eau qui est particulier chez vous. Pour vous, c'est effectivement un symbole de liberté, mais aussi un symbole d'émancipation féminine. Pendant très longtemps, effectivement, c'était difficile de faire du sport pour les femmes, c'est-à-dire qu'elles étaient, vous le dites d'ailleurs, "décoratives". C'est en cela que le fait de nager, le fait de faire du sport fait partie de l'émancipation féminine et que c'est nécessaire ?

Ah oui, et je pense que ce désir de l'eau est quelque chose que chaque femme doit assumer car c'est une manière de s'affirmer et c'est aussi une manière de tourner le dos à la pesanteur des soucis et à avoir par rapport à soi, un rapport intime, non seulement agréable, mais même voluptueux.

Sur le sable, on écrit, on dessine, on façonne, on caresse... La liberté ouvre-t-elle aussi à la curiosité ?

Oui. Et je suis frappée en regardant les enfants jouer sur le sable, à quel point ils sont inventifs. Et je me dis que cette grâce qu'on a, il faut à tout prix la conserver et trouver les moyens d'un espace où elle peut s'épanouir.

La liberté ouvre à la curiosité et à découvrir en soi de l'inconnu.

Chantal Thomas

à franceinfo

Vous dites que l'eau a une qualité morale, c'est-à-dire ?

Quand j'entendais : "L'eau est bonne", j'entendais d'abord qu'elle m'aimait beaucoup, qu'elle était une présence bienveillante, propice et à laquelle je devais me livrer sans crainte.

À quel âge avez-vous découvert la littérature ? À quel âge avez-vous eu envie d'écrire ?

Entre le moment où j'ai découvert la littérature et mon envie d'écrire, il y a un grand espacement. Parce que j'étais très douée pour ne rien faire. Et longtemps, lire m'a tout à fait satisfaite. J'adore Colette, mais dans la foulée, j'ai été très marquée par Simone de Beauvoir, par sa vision de l'autonomie. Et bien sûr, Virginia Woolf, que je cite dans L'étreinte de l'eau, qui est celle qui a, très tôt, affirmé la nécessité d'une chambre à soi, d'un lieu où se régénérer et où avoir un temps réflexif.

Je me posais la question de savoir comment vous aviez vécu le succès et le prix Femina reçu pour Les Adieux à la reine.

C'était extraordinaire parce que j'avais écrit que des essais jusqu'alors et tout d'un coup, je découvrais le monde du roman à travers un prix. Et j'avais vraiment écrit ce livre dans la solitude. Pendant trois ans, j'étais la lectrice de la reine et j'avais vécu à Versailles et tout d'un coup, j'étais dehors avec les médias et c'était une déflagration joyeuse.

Le fait que vous occupiez le fauteuil de Jean d'Ormesson aujourd'hui à l'Académie française, vous êtes devenue la 10ᵉ femme à devenir académicienne depuis Marguerite Yourcenar, on a le sentiment que cette émancipation féminine, le travail qu'on peut faire sur soi-même est très important pour vous.

Oui, et je crois aussi que le travail à l'intérieur d'une institution peut prendre beaucoup de sens. Pour moi, il est vraiment en continuité avec mon amour du XVIIIᵉ siècle, mon amour des salonnières qui auraient dues entrer à l'Académie française à leur époque et une très profonde et vraie affinité avec Jean d'Ormesson, qui était l'exemple même d'un esprit XVIIIᵉ et de sa gaieté.

Il avait ce truc-là, comme on dit, cette force-là, ce sourire-là que vous arborez aussi. Ça veut dire qu'il y a un lien dans tout ça ? Il n'y a pas de hasard ?

Oui, moi j'adorais l'autostop donc au fur et à mesure, il y a une suite. On ne sait pas quelle voiture va s'arrêter, mais au final, ça fait un voyage qui vous ressemble.

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