Cet article date de plus d'un an.

"On a besoin d'un supplément d'âme" : dans son nouveau livre, Frédéric Lenoir nous emmène à la rencontre d'Homo Spiritus

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 26 octobre 2023 : le philosophe et sociologue, Frédéric Lenoir. Il vient de publier "L'Odyssée du sacré", aux éditions Albin Michel.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le sociologue et philosophe Frédéric Lenoir en 2022. (DANIEL FOURAY / MAXPPP)

Frédéric Lenoir est philosophe, sociologue et écrivain. C'est un fervent défenseur de la nature, de la préservation de notre planète et des animaux. Son regard sur le monde a déjà donné lieu à plus d'une cinquantaine d'ouvrages traduits dans une vingtaine de langues. Au total, il a déjà vendu plus de sept millions d'exemplaires de ses livres.

Il vient de publier L'Odyssée du sacré aux éditions Albin Michel. Plus de 500 pages pour nous raconter l'histoire de l'évolution de l'Homo sapiens. Il raconte qu'à travers notre attirance et donc notre crainte pour la nature, nous avons développé depuis très longtemps un questionnement profond sur l'énigme de notre apparition sur terre et de l'existence. Cela a contribué, entre autres choses, à mettre le mot "sacré" au cœur de nos vies. Ce sacré a donné lieu à une transformation essentielle l'Homo sapiens est devenu l'Homo spiritus avec la naissance de grands courants spirituels et religieux.

franceinfo : Ce livre représente plus de 35 ans de recherches. Vous n'avez jamais cessé d'interroger la spiritualité et le phénomène religieux.

Frédéric Lenoir : Oui, c'est quelque chose qui me passionne et je le fais d'un point de vue philosophique. J'essaie de réfléchir sur l'émergence du phénomène religieux, sur pourquoi est-ce qu'Homo sapiens est aussi Homo spiritus. C'est-à-dire qu'il a toujours manifesté une dimension spirituelle qui est unique par rapport aux autres animaux. L'être humain, sapiens, est le seul qui va faire des rituels funéraires en associant à la mort des symboles. C'est le seul animal qui dialogue avec l'invisible. On se demande pourquoi il a cette dimension, d'où cela vient ? Donc toute une partie du livre est une réflexion sur cette particularité de l'être humain. Et puis, la partie la plus importante, c'est cette fresque où on part de la Préhistoire jusqu'à nos jours pour comprendre cette interrogation du sacré, cette intégration spirituelle et voir toutes les formes qu'elle va prendre, toutes les métamorphoses du sacré au fil des millénaires.

Quand on regarde un peu les préceptes de la philosophie, on a toujours en tête, toutes et tous finalement, le cogito ergo sum de Descartes, donc l'esprit cartésien, l'esprit logique. Et finalement, c'est difficile de trouver de la logique dans une religion, dans une croyance ou dans une spiritualité.

En fait, les religions reposent sur des croyances et c'est la différence avec les philosophies qui reposent sur la raison. On peut interroger philosophiquement les croyances et les religions et essayer de comprendre comment elles se sont développées, dans quels contextes et aussi les problèmes qu'elles posent. Moi, j'essaie de distinguer plusieurs choses : le sacré qui, je pense, est le plus universel. C'est un sentiment, le sacré, devant le mystère de la vie et du monde, devant la beauté et puis la crainte qu'on ressent devant la force de la nature. Et du sacré va naître plusieurs choses. Tout d'abord, la spiritualité, qui est la quête individuelle que chacun peut ressentir. On peut être athée, croyant, matérialiste, spiritualiste, peu importe, on peut avoir une quête spirituelle. Et puis, à côté de ça, il y a la religion. Et la religion, c'est la forme collective du sacré et cette dimension collective peut devenir effectivement dogmatique, pesante. Elle peut donner naissance à des formes très poussées de mysticisme, d'aide humanitaire, etc.

"La religion peut apporter le meilleur et le pire, mais elle a une fonction essentiellement sociale, elle crée du lien. Il n'y a pas une seule civilisation qui s'est construite sans religion."

Frédéric Lenoir

à franceinfo

C'est grâce à Platon que vous rentrez dans cet univers de philosophie. C'est votre père qui vous tend Le banquet.

J'avais 13 ans.

Que vous a-t-il transmis ? On a le sentiment qu'il nous a offert un regard sur le monde aussi, une envie de mieux le comprendre.

Oui, je crois que c'était quelqu'un qui était passionné de philosophie, il m'a donc transmis ça. Et puis, c'était quelqu'un qui était très engagé socialement. Il a été Secrétaire d'État à l'Action sociale sous Valery Giscard d'Estaing. Il a fait passer toutes les lois sociales pour les handicapés, les personnes âgées, etc. Il m'a donné le sens de l'engagement, c'est pour cela que j'ai créé pas mal d'associations aussi.

Ce n'est donc pas un hasard que vous soyez le président de l'association Savoir Être et Vivre Ensemble (SEVE) qui, justement, a créé des ateliers de pratique de la méditation, de la philosophie pour les enfants et les adolescents. On s'adresse vraiment aux jeunes. Cela signifie qu'ils sont notre avenir ?

J'ai pris conscience que les enfants avaient besoin de philosopher très tôt et qu'on peut, dès l'âge de six sept ans quand les enfants s'interrogent déjà, cultiver ce questionnement. Et ces ateliers de philosophie permettent aux enfants de développer un esprit critique, de s'écouter, de dialoguer entre eux, de construire un raisonnement ensemble et ça, je crois que pour nos démocraties, on en a vraiment besoin.

Vous écrivez qu'il y a une révolution du transhumanisme et de l'intelligence artificielle. Un désenchantement est un réenchantement du monde, une urgence de la vie intérieure et de la spiritualité. Alors, où va le monde ?

"Retrouver le sens du sacré nous aidera à faire de bons choix par rapport à tous ces progrès technologiques qu'on doit maîtriser."

Frédéric Lenoir

à franceinfo

On est face à des défis quand même inédits dans l'histoire de l'humanité. Le défi écologique n'a jamais eu lieu. Le fait qu'on est tous connectés par le numérique n'a jamais eu lieu. Et le transhumanisme, la possibilité éventuellement de nous rendre immortels ou l'intelligence artificielle de fusionner notre intelligence avec celle des machines n'a jamais eu lieu non plus. Face à tous ces défis, je ne dis pas qu'il faut arrêter le progrès technologique, etc. Je dis qu'on a besoin d'un surcroît de conscience. C'est ce que disait Bergson, il disait : "Il faut, face à un monde tellement technologique, un supplément d'âme". Eh bien, je pense qu'on a besoin d'un supplément d'âme au sens de la spiritualité.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.