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Linda, toute une vie sur le trottoir : "Une prostituée ne prend pas de plaisir"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, le témoignage bouleversant de Linda, ancienne prostituée.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Linda, autrice de L'ange de Pigalle. (BRUNO LEVY)

A 77 ans, Linda est retraitée dans les Alpes-Maritimes et publie un ouvrage qui raconte son activité, celle qui l'a accompagnée, forgée, marquée au fer rouge pendant plus de 50 ans, la prostitution. Une activité qu'elle a réussi à cacher à sa fille et dont elle témoigne aujourd’hui dans L'ange de Pigalle (XO Editions).

franceinfo : Vous avez eu besoin d'écrire ce témoignage bouleversant pour trois raisons : vous réconcilier avec votre fille, vous libérer d'un poids que vous ne souhaitiez plus porter et aussi aider toutes les adolescentes à qui on promet un jour de gagner de l'argent facile.

Linda: Quand on voit toutes ces étudiantes... Elles ne savent pas où elles mettent les pieds. Elles commencent mais elles le feront toujours. Elle disent que c'est pour payer leurs études mais après ?

 80% des prostituées sont contraintes par des réseaux, c'est ça, la prostitution

Linda

à franceinfo

Comment vous sentez-vous depuis que ce livre ne vous appartient plus ?

Je me sens bien maintenant, je ne travaille plus, je suis retraitée mais malgré tout on y pense toujours. J'ai vécu des trucs horribles, souvent je rêve la nuit de ce que j'ai vu comme souffrances en plus parce qu'il n'y avait pas que moi, il y avait d'autres filles encore plus malheureuses.

Ce livre, c'est aussi une façon de dire à toutes les personnes qui jugent ces femmes qui sont dans la rue et que vous considérez d'ailleurs comme vos sœurs de rue, qu'à aucun moment une prostituée ne prend du plaisir.

Oui. Une prostituée ne peut pas prendre de plaisir. Quand vous faites 10, 20, 30 passes, vous ne respectez même plus votre corps. Quand on a un client, on se dit : Vivement que ce soit fini ! Vous n'êtes plus qu'une machine à jouir.

Comment avez-vous fait pour survivre ?

Parfois, je me demande comment je peux être encore vivante. Je n'étais plus sur terre de toute façon. J'étais plus heureuse quand je travaillais à l'usine que sur le trottoir. Quand vous vous retrouvez sur le trottoir, vous vous demandez ce qui vous arrive. Vous avez peur au début des clients, qui sont-ils ? Après vous vous habituez... La vie, ce n'est qu'une habitude.

Vous êtes née "sous le soleil lourd des Ardennes en 1943", c'est ce que vous dites, "Dans une maison de pierre carrée, à l'étage, face à une colline et une forêt dense". Vous élevez vos deux petits frères parce qu'ils vous ont été confiés par votre maman qui, elle, ne supportait pas les cris et les turbulences des enfants.

Ma mère a toujours été une énigme pour moi. Souvent on rentrait de l'école, elle n'avait même pas fait à manger. Elle vivait sur une autre planète. Mon père travaillait beaucoup, il s'est tué à l'usine. Je n'ai jamais été frappée dans mon enfance mais je n'ai pas eu d'enfance... Franchement, c'était triste.

Quand vous rencontrez l'homme qui va devenir votre mari, vous avez 19 ans. Juste avant, il y a eu une énorme déception sentimentale avec Jean, que vous aimiez mais qui n'a pas souhaité attendre le mariage alors que vous désiriez être vierge à celui-ci. Lui non. C'est là que la vie bascule.

Ma vie a basculé, exactement quand j'avais 19 ans. Dans nos villages, il y avait bal tous les samedis et c'est à un bal chez ma grand-mère que je l'ai rencontré. Quand il est rentré, il m'a regardé tout de suite, il avait dû juger les filles les mieux parce que ça a toujours été son intention de mettre la fille sur le trottoir.

Quand vous l'avez rencontré vous êtes tombée enceinte.

Il a dit à mes parents : "Je vais la présenter aux miens, on va se marier". Quand je suis arrivée à Paris, ça a été la fin de ma vie. On est arrivés dans une chambre d'hôtel à Pigalle, une horreur. D'un seul coup, il y avait quatre personnes et instinctivement j'ai dit : "Mais vous voulez faire quoi ? Vous voulez faire du mal à mon bébé ?" Alors là, j'ai commencé à hurler, j'ai pris des coups. Et puis, il y a cet espagnol...

Cet espagnol va venir avec une aiguille à tricoter parce que son intention c'est de vous faire avorter. C'était une demande de votre mari.

Il m'a dit : "Moi, je n'en veux pas d'enfant. Tu n'as jamais rien compris. Qu'est-ce que tu veux faire avec un môme ?" Et je suis restée deux ou trois jours comme ça, souffrant le martyre et puis mon bébé est sorti. Après cet avortement horrible, je suis restée quinze jours prostrée et à ce moment-là, il m'a dit : "On n'a pas d'argent, tu vas faire la marche à la Madeleine. Il y a des hommes qui vont te parler et tu dis le prix et tu les emmènes à l'hôtel".

Quand il est mort à 50 ans, vous vous êtes dit : "Ca y est, c'est fini".

Je l'ai souhaité tout le temps. Tous les soirs, je me disais : Vivement qu'il meurt. Et une fois qu'il est mort...

Vous vous êtes sentie soulagée mais en même temps vous ne saviez faire que ça.

Je ne travaillais plus autant. Deux jours et demi par semaine avec des habitués. C'était complètement différent.

Vous en êtes où aujourd'hui?

J'ai un peu d'économie et mon appartement. Évidemment, je n'ai pas une grosse retraite. Je suis heureuse, je vois ma fille et mon petit-fils.

Je suis bien mais en fin de compte quand on a eu un passé comme le mien, on ne peut jamais être heureuse

Linda

à franceinfo

Il faut lire ce témoignage pour comprendre qu'il ne faut pas rentrer dans cette spirale.

Quand vous y rentrez, ça dure toute la vie. Vous savez ce qu'on dit : Pute un jour, pute toujours. 

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