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Les confidences d'Ibrahim Maalouf à l'occasion de la sortie de son nouvel album : "Je fais de la musique pour la scène"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le trompettiste franco-libanais, Ibrahim Maalouf. Il vient de sortir un nouvel album "Capacity to Love" et est en tournée à travers la France.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le trompettiste Ibrahim Maalouf sur scène à Gignac (Hérault), le 30 juillet 2022. (ST?PHANIE PARA / MAXPPP)

Ibrahim Maalouf est un trompettiste franco-libanais, compositeur notamment de musiques de films, arrangeur, producteur et professeur d'improvisation et de trompette. Aucun style ne lui échappe, tout est inspiration. En 2017, il a reçu le César de la meilleure musique du film pour Dans les forêts de Sibérie. Il vient de sortir un nouvel album Capacity to Love et est en tournée dans toute la France.

franceinfo : C'est votre 17ᵉ album et le plus urbain de tous. Pourquoi ce titre : Capacity to love ?

Ibrahim Maalouf : On était en studio avec Gregory Porter. On était en train de travailler et il m'a demandé : "Mais dis-moi, de quoi parle ton album ? De quoi parle cette musique ?" Je lui ai fait une sorte de monologue où je raconte toute la philosophie qu'il y a derrière l'album. Et avec son légendaire flegme, il me regarde et dit : "Mais en fait, tu parles de notre capacité à nous aimer". Et ça a donné le nom du morceau sur lequel il a chanté, et ça m'a inspiré aussi, en parallèle, pour garder cette idée-là, le résumé de toute cette philosophie-là avec ces deux mots.

Ça devient effectivement une philosophie de titre, une philosophie d'album avec cette main tendue vers l'autre. C'est une réalité. Vous parlez d'identité à l'intérieur de cet ouvrage. C'était important de raconter ça ?

Notre capacité à aimer les autres dépend beaucoup de notre capacité à nous aimer, déjà, nous-mêmes.

Ibrahim Maalouf

à franceinfo

J'ai remarqué que 99 % des fois où je fais face au racisme, je me rends compte, en discutant avec la personne, qu'elle-même ne s'aime pas. Et notre capacité à nous aimer, c'est avant d'aimer les autres, déjà, de s'aimer soi, d'être bien dans ses baskets, d'être confiant, d'être serein. Et là, on a d'un seul coup quelque chose qui s'ouvre.

Vous êtes né en pleine guerre civile au Liban. C'était un 5 novembre. Déclaré, à cause des bombardements, un mois plus tard. Je trouve que ça en dit long sur votre légitimité à raconter cette histoire-là, de capacité à aimer. Est-ce que, justement, cet héritage culturel et cet héritage familial a été lourd à porter quand vous êtes arrivé en France ?

C'est marrant que vous disiez ça parce que, souvent, quand on commence à avoir une parole un peu publique, et c'est mon cas, même si je suis pas une pop star, et bien souvent elle est délégitimée parce que je suis Libanais. On me dit : "Ouais, mais de quoi il parle, lui ? Il parle d'amour des peuples, de la différence et de la multi culturalité. Il a qu'à regarder dans son pays, ce que cela a donné". Alors qu'en fait, c'est complètement le contraire, justement. Le Liban est l'inverse même de ce que c'est le multiculturalisme. On vous parle de toutes les religions, des 17 communautés religieuses qui vivent ensemble. C'est complètement faux. Ces communautés n'ont jamais vraiment vécu ensemble. Elles ont vécu les unes à côté des autres, séparées par des murs invisibles, mais qui sont ceux des différences culturelles, des différences ethniques, des différences religieuses, des différences sociales. Et donc, je me sens légitime, pas seulement parce que je suis libanais et que je suis né pendant la guerre, mais aussi parce que je vois chaque jour les ravages du communautarisme et de la ségrégation sociale, culturelle et économique. Je me sens concerné parce que je me dis qu'en France on a une chance incroyable d'être dans un vrai pays multiculturel, qui a 1000 fois moins de risques de tomber dans les travers de ce que vit le Liban aujourd'hui ou de ce que vivent les Etats-Unis, que ce qu'on aime dire, de temps en temps et de plus en plus souvent, dans les médias.

À la maison, ce qu'il y a toujours soulagé, c'est vraiment la musique, notamment la trompette. Ça, c'est votre père qui va vous l'enseigner. Qu'est-ce qu'il vous a le plus transmis ?

Petit, la trompette, vraiment, je n'aimais pas particulièrement ça. Mais le fait d'avoir des cours tous les jours, ça m'a formé. Ça m'a rendu plus performant en fait. J'ai passé des concours en grandissant et pour les passer, il faut vraiment avoir confiance en soi. C'est comme le sport, c'est de la compétition. Mon père m'a donné cette force-là, que j'ai retransformé ensuite parce que ce n'est pas de la musique, ce n'est pas de l'art, c'est une manière de penser. Je pense que lui a été formaté à ça parce qu'il est arrivé paysan en France sans pratiquement être jamais allé à l'école au Liban et il a réussi à devenir trompettiste classique, étudiant du Conservatoire de Paris avec Maurice André qui était juste le plus grand soliste de l'époque. Il faut donc avoir une envie énorme de ça. C'est ça qu'il m'a communiqué avant tout. Et en grandissant, j'ai transformé ça. J'ai attendri tout ça. J'ai rendu tout ça un peu plus pertinent, plus artistique. Que ça serve à quelque chose et que ce ne soit pas juste la compétition pour la compétition ou juste être un très bon trompettiste pour être un très bon trompettiste, mais pour que ça serve à quelque chose, pour communiquer des histoires, des émotions. Je m'en suis servi après, mais c'est quand même essentiellement ça que mon père m'a donné.

Quand on regarde les featurings sur cet album, c'est vraiment impressionnant : Shéléa Frazier, Grégory Porter, Sharon Stone. J'ai l'impression qu'il y a une vraie exigence aussi dans les collaborations.

Dans la qualité, oui. Je suis assez sensible au fait que je suis un enfant des concours. J'étais toujours déçu quand j'étais deuxième et pas premier, mais dans ce processus-là, je me trompe beaucoup et j'accepte de me tromper. Donc dans cet album, je suis sûr qu'il y a beaucoup de gens qui vont me dire : "Ah bah tiens, c'est dommage ce titre-là, ça ne me parle pas, etc." Et c'est très bien.

Même si j'essaie d'être dans l'excellence, je m'autorise à me tromper aussi.

Ibrahim Maalouf

à franceinfo

La scène, c'est aussi une continuité de ce travail. C'est un rapport privilégié avec le public ?

Je crois que je fais de la musique pour la scène. Je ne m'en cache pas. J'adore faire des albums, je trouve ça super. Mais il y a un moment où la dimension d'un morceau prend tout son sens sur scène. J'ai besoin d'être en contact, même visuel, avec le public, de sentir qu'il est là, qui l'écoute. Ça a toujours été ça qui rythmait ma passion de la musique, c'est le contact. C'est le rapport avec l'autre.

Ibrahim Maalouf est en tournée dans toute la France, il sera le 29 novembre à l’Accor Arena de Paris, le 2 décembre à Reims, le 3 à Strasbourg, le 6 à Ramonville, Le 9 à Nancy, le 13 à Rouen etc.

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