Le skipper Armel Le Cléac’h au départ de l'Arkéa Ultim Challenge pour "une nouvelle aventure" en solitaire
Armel Le Cléac'h est la force tranquille de la navigation et du grand large. Navigateur et skippeur avec ce petit supplément d'âme, son palmarès force le respect avec trois victoires en solitaire (2003, 2010, 2020), associées au record du Vendée Globe en 2017 et à cette dernière victoire avec Sébastien Josse dans la 16ᵉ édition de la Transat Jacques-Vabre en 2023. En partenariat avec franceinfo, le 7 janvier 2024, il se lancera avec cinq autres navigateurs, depuis Brest, dans une nouvelle course : l’ Arkéa Ultim Challenge, un tour du monde en solitaire d’est en ouest qu’ils envisagent de faire en moins de 45 jours.
franceinfo : Vous avez remporté avec Sébastien Josse la Transat Jacques-Vabre en 14 jours, 10 heures, 14 minutes et 30 secondes. Que représente cette victoire en duo pour vous ?
Armel Le Cléac'h : Le fruit d'un gros travail avec Sébastien mais aussi avec toute mon équipe. Cela faisait un moment qu'on tournait autour d'une victoire. On avait fait des podiums. On a eu aussi des moments plus compliqués, notamment la Route du Rhum. L'an dernier, il y avait eu une avarie majeure sur le bateau, il a fallu faire demi-tour, revenir à Lorient, repartir. Donc cette année, ça fait du bien de gagner parce qu'on sait qu'on a un bateau qui est performant. On manquait encore un peu de réussite et là, on a montré pendant toute la course que le bateau était prêt et on est allé chercher cette belle victoire.
Comment ça se passe sur le bateau ? Qu'on comprenne bien parce que ça dure effectivement 14 jours, c'est éprouvant. À quoi ressemble une journée ?
C'est vrai qu'à bord, il y a un rythme qui se met en place. On est en double, c'est déjà autre chose que la Solitaire. On est content de passer le relais, de passer la barre à son coéquipier parce qu'au bout de deux heures où on est en train de vraiment piloter le bateau, on va vite, on a fait des pointes à plus de 45 nœuds, c'est très rapide pour un bateau à voile, on est content de se rincer un peu la figure et surtout d'aller s'allonger sur le gros pouf. On s'endort très vite. Et puis finalement, les deux heures de sommeil passent aussi très vite parce qu'on est réveillé par le copain qui nous dit : "C'est à nouveau ton tour". Finalement, les journées passent vite, on compte les jours les uns après les autres et on est plus sur d'autres repères liés à la météo, liés au parcours. On ne sait plus vraiment quel jour de la semaine on est.
Cette passion est née très vite, en famille d'ailleurs. À quel moment vous faites vos "premiers pas" sur l'eau ?
Je pense que je ne savais même pas marcher. Mes parents avaient un bateau de croisière sur lequel on passait l'été. Trois semaines en mer avec mes frères et sœurs. On était six à bord du bateau et j'ai des photos de moi tout petit où j'avais à peine un an. J'ai commencé comme ça. Je pense que ça a été cette passion familiale aussi, qui a fait que je me suis tourné vers la mer. J'ai fait d'autres choses, mais la voile, quand j'ai commencé à en faire tout seul sur un Optimist, il y avait un peu cet esprit de liberté et puis d'être responsable de son bateau, j'ai trouvé cela super et j'avais envie de continuer et de poursuivre dans ce sport.
Vous êtes passé skippeur professionnel en 1999. Il y a une année très important dans ce parcours, c'est 2010 parce que vous allez remporter la Solitaire du Figaro, la Transat AG2R et vous terminez deuxième de la Route du Rhum. À ce moment-là, on vous surnomme le Chacal eu égard à votre pugnacité et au fait que vous ne lâchez rien.
C'est ça. C'est un peu mon profil sur l'eau. Peut-être que je me transforme par rapport à mon attitude à terre où je suis plutôt quelqu'un d'assez posé, assez calme, discret.
"Je pense que sur l'eau, j'ai un espace de liberté qui est différent de celui que j'ai à terre et je m'exprime vraiment."
Armel Le Cléac'hà franceinfo
Donc, oui, j'ai ce surnom qui est arrivé parce qu'il y a eu ces victoires, parce qu'il y a eu aussi cette rage de vaincre, notamment ma première Solitaire du Figaro que je gagne en 2003 avec seulement 13 secondes d'écart devant des grands marins de l'époque comme Alain Gautier et Michel Desjoyeaux. J'avais leurs posters dans ma chambre quand j'étais plus jeune, donc de les battre pour quelques secondes, ça n'avait jamais été fait. Et oui, c'était un peu ma marque de fabrique.
On sait parfaitement que la mer peut devenir terrible, dramatique même par moments. Est-ce que ça vous fait peur aussi ? Ou bien évitez-vous d'y penser ?
J'ai vécu un moment très difficile en 2018, sur la Route du Rhum. Mon bateau a cassé. Je me suis retrouvé pris un peu au piège dans cet accident douloureux où je m'en suis sorti, mais de justesse. On grandit aussi ces expériences-là. Comme pour d'autres sports mécaniques ou d'autres sports de haute vitesse, on dit qu'il faut remonter sur son cheval, repartir dans sa voiture ou reprendre les skis. Voilà, c'est ce que j'ai fait avec Banque Populaire, on est parti avec un bateau.
"Dans la navigation, des risques existent, il ne faut pas les mettre de côté, mais il ne faut pas non plus y penser au quotidien parce que, sinon, la course serait impossible."
Armel Le Cléac'hà franceinfo
Le 7 janvier, vous serez au départ de l'Arkéa Ultim Challenge, un tour du monde en solitaire. Vous êtes prêt, déterminé ? Quels sont vos objectifs ?
C'est une nouvelle aventure. Ce tour du monde en Ultim, ça n'a jamais été fait en course. On a connu le Vendée Globe en 1989, la première édition, ils étaient 13 marins à partir. On les prenait pour des fous. On se demandait combien allait finir et surtout combien allait revenir. Et je pense que c'est un peu la même chose cette année. Quand on va partir le 7 janvier de Brest, on part sur un défi hors-normes. Mais on est prêts. On parle de faire le tour du monde à la voile en solitaire en 45 jours voire moins, donc c'est quand même presque un mois de moins que sur le Vendée Globe. C'est ça que je suis venu chercher. Cela va être un défi incroyable. Il va falloir tenir, il va falloir résister. On va passer par les mers du Sud, qui sont quand même difficiles. J'ai eu la chance de le faire trois fois et je connais le parcours. Maintenant je ne l'ai jamais fait avec un bateau de cette dimension et j'espère que ça va être une belle histoire. En tout cas, on a envie d'écrire la première page d'une nouvelle grande course à la voile qui, j'espère, amènera une belle histoire dans le futur.
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