Le navigateur Thomas Coville prêt pour la première édition de l'Arkéa Ultim Challenge : "J'aime bien cet état d'esprit de s'élancer sans tout savoir"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 5 janvier 2024 : le navigateur Thomas Coville. Le 7 janvier, il se lancera dans un tour du monde en solitaire inédit qui partira de Brest.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 155 min
Le navigateur, Thomas Coville, le 16 novembre 2022 , à l'arrivée de la Route du Rhum à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. (DAVID ADEMAS / OUEST-FRANCE / MAXPPP)

Thomas Coville est l'un des plus grands navigateurs de tous les temps. Ses courses et son palmarès suscitent l'admiration. Il est celui qui a le plus de tours du monde à son actif, en solitaire et en équipage, soit huit au total. En 2016, il s'est offert le plus beau cadeau de Noël : une arrivée triomphale et triomphante avec un nouveau record du monde. Il a bouclé le tour du monde à la voile en solitaire et en multicoque en 49 jours et 3 heures.

Le 7 janvier 2024, à Brest, sept ans après son dernier tour du monde, il rechaussera ses bottes et revêtira son ciré pour repartir et faire partie des pionniers qui s'élanceront pour une course inédite, l'Arkéa Ultim Challenge. Un tour du monde en solitaire d’Est en Ouest, dont franceinfo est partenaire.

franceinfo : Pourquoi y retourner alors qu'a priori, vous n'allez pouvoir dormir que par tranches de 23 minutes et pas plus de 6 heures par tranche de 24 heures ?

J'y retourne parce que depuis mon premier tour du monde, c'était avec Olivier de Kersauson, j'ai trouvé là-bas, entre le cap de Bonne-Espérance et le cap Horn, un endroit où j'ai l'impression d'être vraiment qui je suis.

"À chaque fois que je retourne au cap Horn, j'ai l'impression d'avoir gagné une vie. J'ai cette émotion en passant le cap et je me dis : là, j'en ai une de plus."

Thomas Coville

à franceinfo

C'est une aventure qui est évidemment extraordinaire, à un rythme effréné. Les capacités de votre bateau sont exceptionnelles, entre 45 et 50 nœuds ce qui correspond à 92 km/h, c'est énorme. On n'est plus en train de naviguer là, on vole au-dessus de l'eau. Était-ce un rêve d’enfant de pouvoir jouer votre rôle de Peter Pan ?

Tous les mots sont là. Il y a encore quatre ans, c'était inimaginable. Quand j'ai démarré, le petit garçon que j'étais, était effectivement attiré par Peter Pan et on sait par expérience sur l'Atlantique comment ça se gère en gros jusqu'au Brésil. L'inconnu, c'est après. Dans ces grandes vagues des mers du Sud, on va le découvrir. La magie de ce projet inédit et incroyable, c'est qu'après, on va tenter, on va oser, parce qu'effectivement, ce sont des bateaux qui sont au-dessus de l'eau. On ne sait pas vraiment comment ça va réagir dans les grosses vagues. J'aime bien cet état d'esprit de s'élancer sans tout savoir.

Après quoi courez-vous ?

Moi aussi, je me pose la question !

N'est-ce pas une fuite de naviguer autant ?

Ah oui, si ! Longtemps, j'étais assez mal à l'aise, j'avais l'impression de fuir quelque chose ou de ne pas répondre à quelque chose. Et quand j'allais sur l'eau, finalement, à mon échelle, ça me simplifiait la vie. Et aujourd'hui, c'est l'inverse en fait. Et ça, c'est grâce à mes enfants ou grâce au fait d'avoir réussi à construire quelque chose sur le temps. J'ai eu beaucoup de chance, depuis 23 ans, que trois femmes chez Sodebo me fassent confiance sur la durée. J'ai eu la chance de pouvoir me voir changer, me voir évoluer et d'avoir une histoire qui finalement m'accompagne et que je partage maintenant avec deux enfants incroyables. Aujourd'hui, j'ai l'impression de ne plus fuir et d'être au contraire dans quelque chose qui est plus global.

Quand vous étiez enfant, vous étiez complexé parce que vous étiez plus petit que les autres. La première fois que vous êtes monté sur un bateau, vous vous êtes dit : "Je vais pouvoir me construire". Vous avez compris que vous alliez pouvoir vous construire en tant qu'homme ?

Oui. Cette maladresse de l'adolescent ou de l'enfant complexé, chamboulé ou qui est basculé par le regard des autres, ça m'a forgé. Et à la fois, effectivement, dès que je me suis retrouvé sur l'eau, j'ai compris que l'eau, le vent ne me jugeraient jamais. Il n'y a pas de morale sur l'eau et peut-être que c'est ça, cette fuite en avant. J'ai longtemps fui le vrai, le faux, le blanc, le noir et tout est un peu mélangé sur l'eau. Tout est beaucoup plus nuancé dans la nature en général.

"Le petit garçon que j'étais a eu cette chance de percevoir que la nature n'allait pas me juger et qu'au contraire, elle allait me laisser m'épanouir. Je n'ai pas beaucoup changé, mais j'ai peut-être évolué."

Thomas Coville

à franceinfo

Il y a un bruit qui vous a traumatisé et qui continue à vous accompagner, c'est celui de la dérive qui a explosé au mois de septembre 2023. Se remet-on de ça ?

Est-ce qu'un accidenté de la route se remet un jour d'avoir été percuté ou de sentir le mouvement ou le bruit associé ? Je sais que c'est coincé quelque part, encore là, à droite, dans mon ventre. Je pense que tous ces traumatismes-là ou tous les gens qui ont un traumatisme ne l'enlève jamais vraiment, on vit avec. Je ne pense pas qu'on oublie quand c'est aussi violent ou aussi brutal. Ça m'a beaucoup ému, mais je l'ai absorbé, voilà.

D'ici quelques heures, vous allez être au départ de cette course incroyable pour la première fois. Quels sont vos objectifs ?

Je voudrais au moins finir... Et si je suis le premier ou s'il n'y en a pas d'autres avant moi et que j'ai gagné la timbale, ce sera pour le coup, mon ego de sportif, d'athlète ou de compétiteur qui sera rassasié. Tous ceux qui finiront l'Arkéa Ultim Challenge lèveront les bras et ce sera déjà merveilleux.

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