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Le monde d'Elodie. Macha Makeïeff : "J’imagine Avignon immobile, silencieuse, c'est comme un grand bal où personne n’arriverait"

La metteuse en scène et directrice du théâtre de La Criée à Marseille évoque la paralysie du spectacle vivant et l'annulation du Festival d'Avignon.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Macha Makeïeff (France TV)

Elodie Suigo : Macha Makeïeff, vous êtes auteure, metteuse en scène, plasticienne, scénographe, le grand public vous connaît pour avoir inventé avec votre époux  Jérôme Deschamps, Les Deschiens, une série culte dans les années 90 sur Canal Plus et vos dirigez depuis près de dix ans le théâtre national de La Criée à Marseille et je crois que vous étiez avec eux quand je vous ai appelée... 

Macha Makeïeff : oui, on fait comme on dit du télétravail. Le fait de ne pas être pris dans une géographie particulière, de ne pas être face à face notamment, l’imaginaire fonctionne et je trouve qu’il se dit autre chose. Il y a peut-être une liberté de la pensée, une autre forme de créativité et un autre lien aussi, qui s’établit et qui est peut-être moins conventionnel et que j’aime beaucoup maintenant. 

Votre dernière pièce, Lewis versus Alice était excentrique, extravagante, surnaturelle, ce moment que nous vivons vous inspire-t-il ? 

Pour être tout à fait sincère, artistiquement, je ne sais pas. J’arrive un peu à écrire, c’est tout. C’est comme un grand renversement en fait, à la frénésie succède un état d’arrêt. On est comme des chiens qui restent sur deux pattes et on attend quelque chose et on flaire un peu mais on n’a pas de prise sur le réel. Vous parlez de surnaturel, mais c’est vrai qu’il y a aussi une dimension métaphysique dans ce qui nous arrive. C’est tellement inédit que ça se met à dire des choses très fortes, très puissantes et qui nous dépassent un peu. Je pense que ça va nous changer, nous remettre à notre bonne dimension peut-être... Et ça change le lien. L’absence est une expérience très puissante... 

Avez-vous des proches ou des amis qui ont eu à combattre le virus ? 

Oui, des gens très proches de moi. Ça aussi c’est notre incapacité à être auprès d’eux, notre incapacité à être actifs comme le sont les médecins par exemple, j’allais dire on devrait tous apprendre la médecine, parce que c’est le soin de l’autre, efficace. Alors après on cherche d’autres moyens de soigner et notamment la parole, notamment la force de la pensée, je fais partie des gens qui pensent qu’elle existe. 

Vous êtes directrice du théâtre de La Criée à Marseille, allez-vous inventer des dispositifs pour que les gens reviennent au théâtre, pour qu’ils n’aient plus peur d’être ensemble ? 

Oui, artistiquement c’est difficile, parce qu’on est tellement dans l’échéance, nous, au théâtre, on aime tellement la réalité du temps que tout à coup, ce temps étiré fait qu’artistiquement, il se passe autre chose, comme une méditation. C’est très important de renouer quelque chose, de renouer la valeur d’être ensemble, anonymes dans une même salle, qui ne se connaissent pas forcément, c’est très puissant, donc il va falloir renouer cette confiance-là. On pense là aussi à l’économie, pas dans le sens du financement seulement, dans l’économie de nos moyens. Comment valoriser tout ça ? Est-ce que nous aussi on n’était pas dans une fuite en avant ? Est-ce qu’il ne faut pas aussi réfléchir à un autre rythme. Prendre soin des artistes encore davantage, parce que, être empêché de jouer, c’est quelque chose de terrible dans l’histoire du monde aussi. C’est très très important que les choses artistiques aient lieu, c’est comme quand on brûle les livres, c’est quelque chose d’assez grave qui se passe. 

On vient d’apprendre l’annulation du festival d’Avignon, comment le ressentez-vous ? 

C’est comme un vertige parce qu’un spectacle empêche, que ce soit par la censure, l’auto-censure, que ce soit par l’adversité laisse toujours une trace payée. Évidemment il y a également la fragilisation des artistes, des techniciens, tous ces gens qui ne pourront pas exister leur art et leurs compétence... Je pense le soir beaucoup au silence, au silence les soirs de représentation, c’est d’une violence inédite le silence, une perte incroyable. Vous imaginez ? Moi je ne peux pas m’empêcher d’imaginer Avignon immobile, silencieuse, c’est comme une fête ou un grand bal où personne n’arriverait, un manque qui va nous mordre et nous obliger à réinventer quelque chose et j’espère qu’on aura cette énergie là et et imaginaire là. Je pense beaucoup aussi à l’équipe du festival. Parce que je sais ce que c’est que de préparer une programmation, que d’attendre et de croire et tant que la sanction n’est pas tombée on croit que la chose aura lieu. J’imagine leur tristesse. 

Quel est votre souhait pour ce monde d’après ? 

Prendre cette contrainte pour écrire une nouvelle musique, des choses qui vont avoir plus de poids peut-être et avec un autre rythme. Après il faut faire très attention que cette traversée difficile que l’on aura connue ne profite pas aux extrémismes et à l’obscurantisme, à des partis dangereux. 

Une dernière question en clin d’œil pour tous ceux qui ont adoré Les Deschiens : est-ce que le Gibolin peut tuer le virus ? 

Ha oui, à tous les coups ! Je vous le conseille mais alors il faut savoir, il y a un protocole très très  précis. Faut pas faire n’importe quoi avec le Gibolin, Monsieur Morel a je crois dressé une notice d’emploi et c’est à utiliser avec beaucoup de précautions.

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