Le monde d'Elodie. Christine and the Queens : "Quand on a des grands chagrins, la musique devient une façon de pleurer"
L'auteure-compositrice-interprète sort un mini-album EP, "La Vita nuova" et une vidéo tournée à l'Opéra Garnier
Elodie Suigo : Christine, vous êtes auteure-compositrice-interprète et productrice remarquée et adoptée par le public et la critique dès la sortie en 2014 de votre premier album Chaleur Humaine sous le nom de Christine and the Queens and the Queens. Votre deuxième album, Chris, a été élu album de l’année par le quotidien britannique The Guardian et votre single issu de cette album a été élu chanson de l’année par le magazine Time. Aujourd’hui même sort votre nouvel EP, c’est-à-dire un nouveau mini album comprenant six titres, accompagné d’une vidéo de 12 minutes réalisée dans l’enceinte de l’opéra Garnier. Quel a été le déclic ?
Christine and the Queens : cet EP n’était pas du tout prévu, et puis soudain c’était vraiment une chose très urgente. La chanson, la première de l’EP et la première que j’ai écrite a déclenché tout le processus de création de La Vita nuova et ça a été le début de la catharsis. Personnellement, je passé une année assez éprouvante, mais j’étais persuadée que je m’en sortais plutôt pas mal. La chanson a ouvert la porte sur une tristesse que j’avais du mal à formuler. Je ne m’autorisais pas vraiment à le faire. J’ai tout de suite compris que j’allais devoir parler de cette tristesse et aborder aussi un autre chapitre de ma création, avec cette chanson. Et puis après, comme d’habitude, ça dégénère et j’ai fait un film à l’opéra Garnier !
Un film qui est vraiment à votre image… Il y a de vous adolescente puisque vous en parlez, il y a de vous aujourd’hui dans ce que vous êtes devenue, alors que vous semblez profiter enfin des moments…
C’est très juste. Pendant l’écriture de cet EP, j’ai eu beaucoup de nostalgie, mais productive. Je me suis souvenue de pourquoi j’avais commencé ce projet, pourquoi j’avais décidé à un moment de ma vie de dire que je m’appelais Christine et que j’allais monter sur scène. J’ai inventé Christine il y a 10 ans pour me sauver d’un grand chagrin. J’avais envie de revenir à ce point de départ, mais en même temps, j’avais profondément changé, j’étais devenue quelqu’un d’autre, avec ce que je m’étais écrit aussi, avec Chris, le deuxième album. Donc il y a un côté un peu total dans ce film.
Est-ce que ce mini-album ce n’est pas aussi une façon de dire que vous avez décidé de regarder la lumière ? Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Ce petit chapître là, j’avais vraiment besoin de le faire. Je pense aussi que quand je l’appelle La Vita nuova ou que je décide aussi de faire exister un faune, ou de faire exister cette mention là, je me donne aussi l’occasion d’avancer. D’ailleurs dans mon écriture, car j’ai vécu le confinement comme une résidence d’écriture, je me suis rendue compte que ça m’a libérée et que je me suis autorisée à aller voir ailleurs.
Vous parlez de cette adolescence contrariée, d’une solitude folle. Le confinement était aussi un grand moment de solitude, mais vous l’avez transformé en bénéfice.
Le confinement, c’est une solitude qu’on n’a pas choisie. Ça m’a aussi fait beaucoup réfléchir à la solitude que j’ai choisie quand j’étais plus jeune, parce que c’était une façon de me couper du monde car je pensais que je n’étais pas à la hauteur ou que je me sentais monstrueuse… Des vraies solitudes que je m’imposais presque comme une façon de me punir. Ça racontait aussi que je n’étais pas très bien dans ma peau. Alors que là, le confinement est arrivé à un autre moment de ma vie où c’est une solitude qu’on subit un peu tous, mais de toute façon moi, moi je gère toutes mes émotions en écrivant, donc j’ai tout de suite commencé à écrire (rires).
Un mot sur cette sensibilité que vous affichez aujourd’hui…par exemple dans la chanson Mountains we met.
Je pense que quand on a des grands chagrins, le seul avantage relatif d’un grand chagrin, je ne souhaite ça à personne, mais c’est qu’on quitte les postures. On n’a plus aucune posture parce qu’on a plus la force d’en avoir. Du coup, on a un rapport brut au monde, on est presque en train de dire qu’on ne sait plus quoi dire et cette chanson c’est un peu ça. C’est un exercice d’humilité aussi. La musique devient juste une façon de pleurer. Ce qui est bien dans un parcours artistique, ce que j’essaye de faire, c’est d’être très sincère. C’est plus ce décalage qui pose problème. Par exemple, quand j’ai écrit People have been sad, j’avais besoin en tant que performer d’écrire cette chanson parce qu’il commençait à y avoir une dissonance entre ce que je ressentais et ce que j’exprimais sur scène tous les soirs. Et ça, c’est très douloureux pour moi.
C’est un message d’espoir, une façon de dire qu’on finit toujours par trouver sa place…
... Ou alors on renonce à l’idée d’en avoir une claire ! En tout cas, dans ma vie, dès que j’étais en quête de quelle est ma place ? j’ai toujours plus souffert que quand je me suis dit "Bon, voilà, écoute, voilà je serai juste un nuage, une vapeur, une fumée, un truc qui hésite". Il y a l’idée d’accepter ce qu’on aime en tout cas et comment on veut exister. Après, je ne sais pas si ça me donne une place, mais c’est vrai que dans ce film même, j’assume complètement que mon langage est très baroque et que je pourrais exprimer ma tristesse plus clairement en faisant une pièce de théâtre qu’un texto. Je ne sais pas si ça fait de moi quelqu’un de facile à vivre mais c’est raccord avec ce que je suis.
Quel effet ça fait d’accepter d’être heureuse ?
On n’en est pas encore là (rires) on se dirige vers ça. C’est pour soi qu’on peut s’autoriser à être heureux. En fait, il faut essayer d’accepter un peu plus de choses déjà, ça ramène un petit peu de douceur de vie. La Vita Nuova m’a fait du bien artistiquement et personnellement.
Dans le monde d’après, une artiste est de retour et c’est Christine and the Queens, merci beaucoup !
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