Julie Delpy sur sa série "On the verge" : "Je voulais faire quelque chose à la fois drôle et caustique, avec des moments tendres"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, la réalisatrice et comédienne Julie Delpy qui nous présente sa série "On the verge" qui explore le quotidien de quatre femmes quadragénaires.
Julie Delpy est actrice, réalisatrice, scénariste, compositrice et chanteuse franco-américaine. Sa carrière a été ponctuée de rôles diamétralement opposés entre le cinéma d'auteur européen et des projets hollywoodiens. Elle vient de réaliser sa première fiction télé : On the verge, diffusée sur Canal +. Julie Delpy narre le quotidien de quatre amies californiennes qui s'évertuent à jongler entre leur vie de famille, leur vie amoureuse ou sexuelle et leur vie professionnelle..
franceinfo : On the verge est une série drôle, loquace, bourrée de réalités.
Julie Delpy : Mais oui. Je voulais faire quelque chose de réel, d’à la fois drôle et caustique, avec des moments tendres. J'aime beaucoup ces personnages. Ils sont tous très différents et très complexes. Je voulais explorer ces femmes et c'est vrai qu'un long métrage ne serait vraiment pas assez pour explorer ces personnages ainsi que leur famille. Il n'y a pas qu’elles, il y a aussi les maris, les enfants, les ex-maris, plein de personnages truculents et drôles à suivre.
On sent que vous vous amusez quand même énormément notamment à travers cette écriture. Vous écrivez depuis que vous êtes toute petite. Vos parents étaient acteurs de théâtre. Ils vous ont transmis cet amour de l'écriture ou cet amour du jeu ?
Pas l'écriture. Mes parents n'écrivaient pas du tout. En fait, l'écriture est venue d'un besoin de m'exprimer parce que j'étais assez introvertie et mal à l'aise dans la vie. Je n'étais pas forcément en accord avec cette liberté, cette façon d'être élevée très moderne à l'époque. Voyant des parents qui se partageaient les tâches ménagères au même niveau par exemple, je me suis retrouvée un peu être une "outsider" partout où j'allais.
"J'ai eu besoin d'écrire pour me sortir de l'isolement dans lequel j'étais. Je n'avais pas beaucoup d'amis, j'étais très introvertie. L'écriture m'a permis de m'exprimer, de découvrir un autre univers."
Julie Delpyà franceinfo
J'étais fille d'acteurs qui n'étaient qu'acteurs, même si mon père a réalisé quelques pièces de théâtre. Ils étaient dans le passif, dans l'attente du travail. Je n'ai jamais supporté de les voir souffrir de cette attente. J'ai tout de suite commencé à écrire parce que je me suis dit que je ne serais pas une passive, que je serais une créative.
Vous avez commencé très jeune puisqu'à 14 ans, vous rencontrez le cinéaste Jean-Luc Godard. Vous y allez vraiment d'abord pour le regarder travailler.
Je lui ai dit : tu n'es pas obligé de me caster comme actrice, mais est-ce que je peux venir voir comment tu travailles ? Il m'a répondu : "Non, je vais t'engager, comme ça, tu verras comment je travaille et tu seras payée en même temps, c'est encore mieux." Et il m'a dit : "Toi, sois toujours la rivière et eux, les durs rivages qui essayent de te canaliser, banaliser." C'est très simple, parfois il suffit de donner à quelqu'un une petite phrase comme ça. C'est resté avec moi, mais de toute façon, je n'aurais pas pu faire autrement parce que je pense que si j'avais essayé de me canaliser, j'aurais souffert beaucoup plus.
"Il y a des gens qui m'ont fait payer le prix de ma liberté et de ma pureté."
Julie Delpyà franceinfo
J'ai souffert parce qu'évidemment, la liberté vient avec un prix terrible, celui qu'on vous fait payer. C'est comme l'histoire avec Harvey Weinstein, si vous couchez avec lui, c'est traumatisant, mais après vous avez plein de rôles. Donc, j'ai choisi de ne pas avoir les rôles et de ne pas coucher avec Harvey Weinstein. Je ne suis pas traumatisée parce que je n'ai pas couché avec lui, mais je le suis un peu parce que j'ai vu d'autres gens réussir, par d'autres moyens que leur talent.
C'est très traumatisant pour une jeune femme pure, parce que j'étais très, très pure et je le suis un peu toujours. J'ai du mal à me salir en fait, j'ai du mal à me vendre, je n'arrive pas à le faire. C'est plus fort que moi parce que c'est mon éducation. Mes parents sont deux fous, ma maman est partie, mais ils sont restés enfants toute leur vie, donc ils m'ont élevée avec cette naïveté, liberté et pureté. J'ai eu beaucoup de chance. En même temps, je pense que c'est une force aussi.
Les femmes qui sont dans On the verge, justement, ne se laissent pas faire, elles maîtrisent leur vie.
Oui, en même temps, mon personnage est un peu écrasé par son mec, mais ça reste dans l'humour. Mes personnages de femmes sont entiers. Ce ne sont pas des femmes soumises. Même si mon personnage l'est un peu, je l'ai fait pour cette série parce que je voulais montrer une progression. Je trouve que c'est intéressant de montrer la libération d'une emprise donc, je vais explorer ça s'il y a une seconde saison.
J'ai l'impression qu'avec cette série, vous vous êtes trouvée.
Il y a des choses que je n'ai pas encore exprimées. Il y en a beaucoup. Même des choses sur mon côté "rigolote", mon côté "grande gueule" qui cachent autre chose aussi peut-être, comme d'avoir quand même vécu des choses très dures et d'avoir dû me battre sur tout. Ça rend dingue mon mari. Il me dit toujours quand je rentre à la maison après une journée de travail : "Laisse les armes à la porte". Il me voit un peu comme une sorte d'amazone. Il a raison, je suis en combat et après, quand je rentre à la maison, je deviens un petit chaton hyper gentil. J'aime bien ce contraste aussi dans ma vie. Je trouve que c'est bien d'avoir quelqu'un avec qui on peut lâcher toutes les armes.
Si on vous arrête dans la rue et qu'on vous demande ce que vous faites dans la vie, que répondez-vous ?
Maintenant, je réponds scénariste-réalisatrice.
Avec le recul, quel regard avez-vous sur ce parcours ?
J'ai réussi à des moments à avoir une certaine liberté et je pense que c'est la chose la plus dure à atteindre sur cette terre à l'heure actuelle. Je me suis un peu abîmée sur certains trucs au passage et je suis un peu fatiguée, épuisée, même si ça ne se voit pas. Je le sens à l'intérieur. Mais je pense que j'ai suivi mon chemin et ce que m'a dit Godard. Suivre mon propre chemin et faire ce que je veux de ma vie.
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