"Il faut protéger les enfants" : la commandante de police Véronique Béchu alerte sur les dangers d’internet
Véronique Béchu est commandante de police, cheffe du pôle Stratégie de l'Office mineur (OFMIN) depuis septembre 2023 et représentante en France de lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs auprès des instances internationales. Elle est entrée dans la police en 2002 après des études de droit pénal et de sciences criminelles. Elle publie : Derrière l'écran aux éditions Stock, un récit intime, car l'uniforme et sa fonction sont rangés un peu de l'autre côté du miroir.
franceinfo : Un enfant sur cinq serait victime de violences sexuelles en ligne ou hors-ligne, selon le Conseil de l'Europe et vous nous livrez cette phrase, qui est une récurrente au sein de votre service : "Heureusement que les gens ne savent pas". Qu'est-ce que cela signifie ?
Véronique Béchu : Cela signifie que si les gens savaient réellement ce qui se passe, ce serait de l'ordre de l'inimaginable, même si on le verbalise. C'est aussi pour nous un moyen de se protéger en disant : "Bon, nous, on sait, on agit avec les moyens qu'on a, mais on agit, pour essayer de garder la population exempte de tout ça". Ça a été possible un certain temps au début de l'ère Internet, mais là, ce n'est absolument plus possible. Il faut vraiment que tous les acteurs de la société, tous les citoyens comprennent ce qui se passe pour protéger les enfants.
Vous démarrez cet ouvrage en racontant votre première affaire, la photo d'une petite fille blonde aux cheveux longs. Vous allez devoir percer le mystère de son identité pour pouvoir la protéger et essayer de comprendre comment elle s'est retrouvée sur le devant de la toile. On comprend davantage à quel point c'est difficile de se protéger en tant qu'être humain quand on exerce votre métier. C'est ça que vous vouliez aussi montrer ?
Alors ce que je voulais montrer, c'est d'une part tout ce qui avait lieu sur la toile et comment en tant qu'enquêteur, on peut réussir à mettre en sécurité des enfants et mettre hors d'état de nuire des prédateurs sexuels. Et d'une autre, je voulais surtout expliquer qu'il y a des moyens d'éviter d'être victime.
"Si tout le monde avait la connaissance des moyens et le savoir de l'utilisation d'outils déjà existants, il y aurait moins de jeunes victimes sur Internet et on pourrait se focaliser sur des victimes qui n'ont pas pu être protégées."
Véronique Béchuà franceinfo
Comment vous protégez-vous ?
Il faut toujours retirer une certaine positivité de ce qu'on fait. Même si on voit des situations très difficiles au quotidien, il faut se dire que voilà, on a peut-être mis en sécurité un enfant, deux enfants, trois enfants dans le mois et c'est génial ! Je pense que si les gens restent aussi longtemps dans cette thématique de travail, c'est parce que justement, on en retire quelque chose. Après, forcément, on n'en sort pas indemne. Forcément, il y a une résonance personnelle. À charge pour chacun de savoir la gérer. On trouve des biais qui nous permettent d'extérioriser le plus possible ce qu'on peut avoir de difficile au cours de la semaine.
La pédocriminalité n'a pas d'âge, pas de profilage socioculturel ou professionnel. En revanche, 90% des cas montrent que l'auteur est un homme. Ce sont des données qui sont aussi très importantes à connaître ?
Oui, je pense que c'est quelque chose à savoir. Alors ça ne veut pas dire que les femmes n'abusent pas d'enfants. Quand j'étais en poste à la brigade de protection des mineurs, j'ai eu des dossiers où les femmes avaient abusé de leurs enfants ou d'enfants de leur entourage, mais effectivement, en ligne, c'est majoritairement des hommes et des hommes de plus en plus jeunes.
Un enfant est victime de violences sexuelles toutes les trois minutes, soit 160 000 enfants d'inceste chaque année, en France. Plus des trois quarts des enquêtes sont classées sans suite et seulement 3% des mis en cause sont condamnés. Comment est-ce possible ?
La problématique, en fait, c'est qu'il y a tellement de cas pour des personnes qui ne sont pas uniquement dédiées au traitement de cette thématique-là. Ces services sont noyés sous beaucoup de choses, notamment les violences faites aux femmes. Les brigades sont mutualisées et parfois, ils vont se dire : "Je vais traiter d'un dossier qui vient de se dérouler, de violences sur une femme, possiblement un féminicide" et puis à côté, il y aura un dossier avec du contenu pédocriminel découvert en ligne et ils vont se dire : "Je vais traiter le féminicide en tout premier lieu", ne sachant pas ce qu'il y a derrière le contenu pédocriminel et possiblement une victime actuelle aux prises avec son abuseur.
C'est comme chez nous, en début de semaine, on s'aperçoit qu'on a certains dossiers, il va falloir qu'on trouve une priorisation.
"Ce qui est le plus compliqué, c'est de devoir trancher et savoir quelle victime on va aider."
Véronique Béchuà franceinfo
Ce qui est mis en avant dans votre livre, c'est que les pédophiles agissent parce que beaucoup ne disent rien. Donc c'est le rôle de chacun de pouvoir dire les choses et de s'exprimer. Ça vous a fait du bien d'écrire ce livre ?
Ça a été, je pense pour moi, une reconstruction et un nouveau départ. J'espère que ce sera vraiment pris en compte par tout le monde.
Retrouvez cette interview en vidéo :
Il existe un numéro national d’accueil téléphonique, le 119, Allô enfance en danger. 45 écoutants, professionnels de l’enfance, se relaient pour répondre aux appels.
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