La refonte du statut de repenti "peut fonctionner si le deal est intéressant", d'après un professeur spécialiste du narcotrafic

Spécialiste de l'économie du crime, Bertrand Monnet estime que les langues sont susceptibles de se délier à conditions que les peines à la base soient "alourdies" et les conditions de détention durcies.
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Bertrand Monnet, professeur à l'Edhec et spécialiste de l'économie du crime, lundi 29 avril 2024 sur franceinfo. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

La réforme du statut de repenti "peut fonctionner si le deal est intéressant", estime lundi 29 avril sur franceinfo Bertrand Monnet, ancien officier de l'armée de terre et titulaire de la chaire de management des risques criminels à l'Edhec (École des hautes études commerciales), qui travaille depuis 15 ans sur les narcotrafiquants. Dimanche, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a annoncé la création d'un parquet national spécialisé dans la criminalité organisée, ainsi que la création "d'un véritable statut de repenti". Bertrand Monnet préconise de renforcer les peines de prison et les conditions de détention pour les criminels condamnés, afin de les inciter à alléger leur peine en collaborant avec les enquêteurs.

franceinfo : Que pensez-vous de l'annonce de la création d'un parquet national sur la criminalité organisée ?

Bertrand Monnet : C'est un signe tout à fait positif, il faut comprendre ce qu'est le crime organisé, ne pas se voiler la face. Il est bien qu'on mette des moyens spécifiques pour traiter un sujet spécifique. Ce sont des multinationales du crime, qui ont un objectif précis qui est de faire de l'argent, créé de la valeur criminelle. Et qui, pour se faire, travaillent sur plusieurs continents avec une organisation comparable à celle d'une entreprise légale. Une mafia, ce n'est pas le bazar. Il y a plusieurs types. Il y a des organisations pyramidales, avec un chef, un état-major, des ouvriers etc. Et il y en a d'autres qui fonctionnent plus en étoile, par exemple, la Camorra ou les cartels mexicains. Ce sont des groupes très difficiles à pénétrer et qui, en même temps, rayonnent à l'extérieur par l'argent et la corruption.

Et il faut aller au-delà d'après vous ?

Si l'action est conduite en silo, elle ne sera pas, à mon sens, efficace. Pour avoir passé du temps avec des narcotrafiquants dans le cadre de mes recherches, j'ai compris une chose : ces gens-là ne travaillent que pour l'argent, ils sont fascinés par l'argent. Donc permettre d'infiltrer, d'avoir des informations de l'intérieur, c'est nécessaire mais pas suffisant. Il faut aussi agir sur le terrain financier pour permettre de casser les schémas qui leur permettent de blanchir de l'argent. Cet objectif peut être atteint par une action financière mais surtout diplomatique.

"Ces multinationales du crime ne blanchissent pas dans un barber shop [un salon de coiffure], un kebab ou une épicerie, mais dans des paradis bancaires, notamment Dubaï."

Bertrand Monnet, professeur à l’Edhec

à franceinfo

Et une fois qu'il est blanchi, cet argent est investi dans des pays comme le Maroc. Si l'État français ne s'investit pas sur ces sujets-là, on arrivera à rien. Il est utile d'attendre le rapport parlementaire du 8 mai pour comprendre toutes les actions qui doivent être menées, y compris sur le plan diplomatique. Parce qu'il faut casser la motivation du crime organisé à travailler.

Et sur le statut du repenti, qui doit être renforcé ?

Ça peut fonctionner si le "deal" est intéressant. Le statut de repenti s'inspire du statut de repenti italien. Mais là-bas, les conditions de détention de quelqu'un condamné pour association mafieuse sont beaucoup plus dures que les conditions de détention d'un criminel en France. Donc si les peines [de base] sont alourdies, et si les conditions de détention font que ça peut être tentant pour un grand narcotrafiquant de collaborer, pourquoi pas. Mais tout dépend de la psychologie des gens. En Italie, au sein de la Ndrangheta, il y a très peu de repentis, mais il y en a d'autres où il y en a beaucoup plus. Mais c'est un outil dont il ne faut pas se priver.

Le ministre de la Justice dit qu'il cible le haut du spectre, qu'est-ce que ça signifie ? 

Je pense qu'il désigne ce crime organisé, très différent d'un gang qui vend du cannabis et de la cocaïne dans la rue. Le crime organisé, c'est vraiment une entité criminelle structurée, très difficile à pénétrer, mais qui, en même temps, a une surface économique et parfois politique très forte. Le haut du spectre, ce sont des organisations qui ont ce pouvoir de pénétration et en même temps une capacité économique très forte. D'après le parquet national antimafia italien, les mafias italiennes ont un chiffre d'affaires de 150 milliards d'euros, si c'était consolidé dans le PIB italien, on dépasserait les 8%. En France, ce qui est mesuré par le ministère des Finances est le chiffre d'affaires du trafic de drogues, qui est entre 3 et 4 milliards d'euros. Et ça fait vivre, de manière directe ou indirecte, l'équivalent d'une ville comme Rennes. Donc on n'est pas loin d'un équilibre qui commence à être dangereux. 

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