Le décryptage éco. Présidentielle : pourquoi les économistes ont du mal à se faire entendre
Le malaise grandit au sein des économistes, en pleine campagne présidentielle, cette profession doute de son influence dans le débat public. Le décryptage de Vincent Giret.
Les économistes, en tout cas une bonne partie des économistes, sont en proie à une forme de blues, de déprime; Comme si eux aussi étaient désormais concerné par cette crise de défiance, ou cette suspicion générale qui frappe de plus en plus les experts, accusés le plus souvent d’être déconnectés de la vraie vie, coupés des classes populaires, ou d’être dans le système.
Ce malaise des économistes est venu des Etats-Unis, où les plus célèbres professeurs n’ont pas réussi à convaincre un grand nombre des Américains des multiples inexactitudes factuelles et des raisonnements tronqués, parfois délirants, propagés par Donald Trump. Et très peu de temps auparavant, il en avait été de même en Grande-Bretagne à l’occasion du référendum sur le Brexit, dont l’écrasante majorité des économistes britanniques avait dénoncé le danger pour le pays.
Les alertes des économistes ne passent pas dans l'opinion
Et c’est désormais le tour de la France, où si l’on en croit les sondages, un bon tiers au moins des Français se montrent imperméables aux argument de la grande majorité des économistes "académiques", qui tentent de démontrer ou d’alerter sur les effets néfastes, voire suicidaires, y compris pour les plus démunis, d’une sortie de l’euro, d’une taxation des produits étrangers à nos frontières ou de la "préférence française". Force est de constater que ces messages ne passent pas auprès d’une part importante de la population.
Comment les économistes expliquent-ils leur faible impact sur ces électeurs ? Un journaliste du Monde, Antoine Reverchon a posé cette question existentielle à des économistes les plus divers. Ils évoquent plusieurs hypothèses avec une dose ou plus moins grande d’autocritique.
Première hypothèse : les Français ne comprendraient pas grand chose aux lois de l’économie. La faute à un enseignement défaillant, souvent biaisé idéologiquement, accusé d’être trop éloigné des réalités de l’entreprise, c’est ce que dit par exemple l’Académie des sciences morales et politiques. Certains économistes ajoutent à cela l’absence de culture économique des politiques et des journalistes qui feraient prendre les acquis de la science pour de simples opinions relatives.
Deuxième piste, qui pointe le mode de pensée : les économistes raisonnent en masse, en grand nombre, en "équilibre général", mais "les gens", nous pauvres mortels, ne vivons pas en "équilibre général". Prenons l’exemple de la liberté des échanges : la théorie économique affirme, preuve à l’appui, qu’elle crée globalement plus de richesse que le protectionnisme. Mais la théorie générale ne précise pas qu’il peut y avoir une répartition inégale de cette richesse. Et donc les perdants ont quelque légitimité à ignorer la loi économique des bienfaits du libre échange.
L'affirmation de convictions personnelles crée la confusion
Et puis tous les économistes, ils ne pensent pas tous la même chose. Il n’y a qu’à regarder leur répartition à peu près équilibrée dans les équipes des principaux candidats à la présidentielle. Hubert Kempf, qui est l’ancien président de l’Association française de science économique, distingue par exemple les deux niveaux de discours utilisés par les économistes. D’abord, le domaine des idées. Elles sont inspirées de leur travail scientifique et elles peuvent participer à ce qu’on appelle le consensus scientifique. Ensuite, il y a les programmes et les propositions. Là, les économistes ne sont plus dans le consensus, ils agissent comme tout un chacun, en fonction de leur histoire, de leur environnement idéologique et de leur conviction personnelle. Même si leur ton demeure souvent tout aussi affirmatif.
Ce mélange des registres, assez inévitable, certes participe du débat, mais créerait aussi une grande confusion. Je tente une conclusion provisoire. Il y a bien des vérités en économie, tout ne se vaut pas en économie, mais ces vérités ne peuvent être pensées isolément de la politique et, sans doute aussi, sans l’apport d’autres disciplines, comme la sociologie et même la psychologie. En ce sens, l’économie est aussi une science du débat. Et c’est pour cela que l’économie est passionnante.
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