Sénégal : le jeune président participe au renouvellement du paysage politique de l'Afrique

Investi mardi après une victoire au premier tour dimanche 24 mars, le nouveau président Bassirou Diomaye Faye représente une nouvelle génération face à des présidents longuement en place, comme en Côte d'Ivoire. Nos correspondants sur place racontent.
Article rédigé par franceinfo - Théa Ollivier, François Hume-Ferkatadji
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6 min
Bassirou Diomaye Faye a prêté serment le 2 avril 2024 en tant que plus jeune président du Sénégal, à la suite d'une victoire électorale survenue dix jours après sa sortie de prison. (JOHN WESSELS / AFP)

Porté à la présidence dès le premier tour, dimanche 24 mars, par le désir de changement des électeurs, le plus jeune président de l’histoire du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, fait face dès son investiture, mardi 2 avril, à des défis considérables. Il a déclaré être "conscient que les résultats sortis des urnes expriment un profond désir de changement systémique" pour la construction d’un Sénégal juste et prospère. Le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a débuté officiellement son mandat mardi 2 avril, lors d’une cérémonie en présence de plusieurs chefs d’État africains.

Parmi l'assemblée, le représentant de la Côte d'Ivoire n'était néanmoins que son vice-président. Semblant peu à l'aise face à un tel élan démocratique, le président Alassane Ouattara, encore très populaire dans son pays malgré une opposition qui conteste son pouvoir, voit peut-être monter une nouvelle génération de politiciens.

Un programme se concentrant sur les prix, le chômage et la souveraineté

Les attentes des Sénégalais concernant le mandat de ce nouveau président sont à la hauteur des promesses, c’est-à-dire très grandes. Dans son programme, Bassirou Diomaye Faye a déjà évoqué plusieurs chantiers prioritaires. D’abord la baisse du coût de la vie, alors que les prix des biens de première nécessité flambent dans le pays. Ensuite, il a promis la création d’emploi pour les jeunes, dans un pays qui souffre d'un taux de chômage de 20%, où trois quarts de la population ont moins de 35 ans, et avec de plus en plus de jeunes qui prennent le chemin de l’émigration clandestine vers l’Europe. Puis il a évoqué la lutte contre la corruption, la souveraineté alimentaire.

Bassirou Diomaye Faye a aussi insisté sur sa volonté de rétablir la souveraineté "bradée à l’étranger", ce qui pourrait passer par une réforme du franc CFA. Tout en réassurant les bailleurs sur les intentions du Sénégal de rester un allié sûr et fiable, il a déjà parlé de vouloir renégocier les accords de pêche, ainsi que les contrats pétroliers et gaziers. Le pays s’apprête en effet à devenir cette année un producteur d’hydrocarbure.

Réformes fiscales et taxes des entreprises étrangères

Mettre tout cela en œuvre n'est peut-être pas réaliste, les marges de manœuvre vont être compliquées alors que le Sénégal est un des pays les plus endettés d’Afrique, avec une dette de plus de 75% du PIB. Mais il compte mobiliser des ressources grâce à des réformes fiscales et à meilleur contrôle des paiements des taxes, notamment des entreprises étrangères. L’autre solution est aussi de moins dépenser dans les infrastructures que ce qui a été fait sous les deux mandats du président sortant Macky Sall. L’autre grand défi se trouve à l’Assemblée nationale, où il n’a pas la majorité. On verra s’il sera obligé de la dissoudre pour pouvoir gouverner et mettre en œuvre les réformes promises.

Quant à ses contacts avec la France, il rappelait, dans une interview accordée juste avant son élection, la "très bonne relation" entre le Sénégal et la France. Il expliquait néanmoins qu’il ne fallait pas poursuivre un "néocolonialisme" qui maintienne une relation de dépendance. Il a donc invoqué la volonté de créer des relations équilibrées, respectueuses et basées sur du gagnant-gagnant, qui répondent à leurs aspirations à la souveraineté. Selon une source diplomatique occidentale, il y a quelques incertitudes - plutôt que de l’inquiétude - notamment sur le plan économique dans l’attente de voir quelles seront les premières mesures phares mises en œuvre.

En Côte d'Ivoire, le vieux pouvoir regarde la nouvelle génération politicienne monter

La Côte d’Ivoire accueille l’élection à la tête de l'État du jeune président sénégalais de façon mitigée. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour le pouvoir ivoirien, à plusieurs titres. D’ailleurs certains détails ne trompent pas : c’est le vice-président qui a représenté la Côte d’Ivoire lors de l’investiture de Bassirou Diomaye Faye et non pas Alassane Ouattara lui-même.

Le président ivoirien a également attendu le 26 mars, une journée après que le candidat malheureux Amadou Ba a reconnu sa défaite, pour féliciter son homologue sénégalais. "Je me réjouis de poursuivre avec lui les excellentes relations d’amitié et de fraternité entre la Côte d’Ivoire et le Sénégal", a-t-il indiqué sur le réseau social X, avant d’ajouter dans un autre message : "Je félicite également le peuple frère du Sénégal qui vient une nouvelle fois de démontrer son attachement à la démocratie." Or c’est justement sur ce point que le président ivoirien souffre de la comparaison avec Bassirou Diomaye Faye, de 38 ans son cadet.

La démocratie ivoirienne est dysfonctionnelle, le président ivoirien est accusé d’avoir violé la Constitution pour se maintenir au pouvoir en 2020, lorsqu’il a été élu avec 94,7% des voix. Toute l’opposition avait alors décidé de boycotter le scrutin. Symboliquement, le président ivoirien, octogénaire, dont la légitimité est contestée par une partie de la population, et ancré idéologiquement à droite, se retrouve donc devant un jeune président de gauche, bien élu et qui incarne une nouvelle génération de jeunes politiciens. Cet état de fait pourrait raviver les débats sur la gestion de l’État en Côte d’Ivoire, même si Alassane Ouattara jouit toujours d’une popularité importante en Côte d’Ivoire.

Dossiers sous-régionaux et Cédéao

Avec Macky Sall, Alassane Ouattara savait qu’il pouvait compter sur un allié de poids au sein de la Cédéao. Avec l’élection de Diomaye Faye, l’équilibrer pourrait être différent. D’ailleurs, le nouveau président sénégalais a indiqué quelques instants après l’annonce de sa victoire, qu’il faudra "corriger les faiblesses" de la Cédéao, "en changeant certaines méthodes, stratégies et priorités politiques". Il ne cite personne mais on peut se douter que le leadership ivoirien est pointé du doigt dans ce message. Cet été, la Cédéao avait menacé le Niger d’une intervention militaire, dans un épisode qui avait suscité un torrent de commentaires négatifs. L’institution interétatique tentait de réagir, impuissante, au coup d’État militaire à Niamey, en août dernier. Le président sénégalais, lui, veut œuvrer pour le retour dans la Cédéao du Burkina Faso, du Mali et du Niger. La Côte d’Ivoire devra certainement s’aligner, car cette position va l’emporter déjà dans l’instance sous-régionale.

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