Où en est le mouvement #MeToo au Canada, en Egypte et en Turquie ?
Dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se fait ou se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui direction le Canada, l'Égypte et la Turquie, pour voir l'impact du mouvement #MeToo.
Dans la foulée des révélations sur Harvey Weinstein aux États-Unis en 2017, le mouvement #MeToo voyait le jour en Amérique mais aussi dans d'autres pays du globe. Il a permis à de nombreuses femmes de dénoncer les agressions sexuelles et les viols dont elles étaient victimes. Direction le Canada, l'Égypte et la Turquie, pour voir l'impact du mouvement de libération de la parole dans ces pays.
Au Canada, un retour du mouvement au Québec
Les premiers procès "post #MeToo" ou "Moi aussi" comme on dit au Québec, se sont tenus en fin d’année mais deux décisions de justice récentes n’ont guère été favorables aux victimes. D’abord, il y a eu l’acquittement à la mi-décembre de l’emblématique Gilbert Rozon, le fondateur du festival Juste pour rire, l’un des premiers à avoir été emporté par la vague de dénonciations en octobre 2017. Il était accusé de viol pour des faits remontant à 40 ans. Mais face à sa version aux antipodes de celle de son accusatrice, la juge a retenu "le doute raisonnable". Trois jours plus tard, c’était au tour d’un animateur télé très en vue, Eric Salvail, d’être à son tour acquitté pour "agression sexuelle". Le juge arguant cette fois "d’exagération" dans le témoignage de l’homme qui l’accusait.
Deux revers donc pour les victimes, mais qui ne désarment pas pour autant. Certaines continuent plus que jamais de donner de la voix. On a même assisté cet été à un véritable retour du mouvement "Moi aussi" au Québec. Plus virulente peut-être, car des centaines de femmes ont choisi de diffuser via Facebook et Instagram, des listes de 1 100 noms d’agresseurs présumés. Une véritable déflagration, qui a touché monsieur tout le monde, mais surtout balayé quelques grands noms de la scène culturelle. Des humoristes ou des musiciens ont vu leur carrière s’arrêter du jour au lendemain. "Féminisme du lynchage" ont dénoncé certains face à cette méthode radicale, "juste réponse" face à une justice inefficace ont avancé les autres. Aujourd’hui, les victimes reportent tous leurs espoirs dans un tribunal spécialisé pour les agressions sexuelles, comme il en existe en Afrique du sud. Le Québec doit en décider la création dans les semaines qui viennent.
En Égypte, une victoire symbolique mais la justice ne suit pas
Il y a eu une première victoire dans l’affaire à l’origine de la vague #Metoo en Égypte. Ahmed Bassem Zaki, un étudiant accusé de chantage et de viol a été condamné il y a quelques jours à trois ans de prison. Cette peine pourrait s’allonger puisqu’un autre procès doit encore s’ouvrir. C’est un compte Instagram qui avait permis de recueillir les témoignages de dizaines de jeunes femmes victimes de ce prédateur sexuel. "Bien sûr on a tous entendu cette étude qui dit que 99% des Égyptiennes ont été victimes de harcèlement, explique la créatrice de cette page Nadeen Ashraf au site CairoScen. Mais quand tu lis ces histoires, comment cela peut arriver à une fille de 11 ans, une femme de 30 ans ou même de 70 ans qui raconte qu’elle ne l’a jamais dit à son mari, à ses enfants et ses petits-enfants. Ça prend une tout autre ampleur, ce n’est plus seulement des chiffres."
Le tabou des violences sexuelles est donc en train d’être levé mais la justice ne suit pas. Dans une autre affaire révélée grâce aux réseaux sociaux, un viol collectif perpétré il y a six ans dans un hôtel de luxe de la capitale égyptienne, à la suite de l’interpellation de cinq suspects, ce sont les témoins qui ont été arrêtés, victimes de torture pendant leur détention. Trois d’entre eux sont toujours derrière les barreaux. Ces témoins sont visés par une campagne de diffamation, ils risquent d’être accusés de débauche et de mauvais usage des réseaux sociaux. La société bouge mais la justice quant à elle semble vouloir mettre un coup d’arrêt à la libération de la parole des femmes.
En Turquie, plusieurs écrivains mis en cause
Les violences sexuelles restent taboues en Turquie, le mouvement #MeToo n’a connu que des échos ponctuels mais retentissants. Fin 2020, il a secoué le monde littéraire, avec la mise en cause de plusieurs écrivains connus. Des femmes turques, notamment des écrivaines, ont pris la plume sur les réseaux sociaux pour accuser certains confrères de harcèlement, voire d’agressions sexuelles.
C’est d’abord sur un compte Twitter anonyme que les accusations ont émergé. Elles visaient un célèbre auteur, Hasan Ali Toptas, mis en cause pour harcèlement. Au moins une vingtaine de femmes ont repris, souvent à visage découvert, les mêmes accusations. Le romancier s’est d’abord excusé, avant de nier les faits.
Dans le même temps, des femmes désignaient, dans la presse et sur les réseaux, deux autres écrivains turcs, dont l'un, Ibrahim Çola, s'est ensuite suicidé. Les auteurs concernés ont été désavoués par leurs maisons d’édition mais, pour l’instant, aucune poursuite pénale n’a été engagée. Et le mouvement de dénonciation semble s’être essoufflé au bout de quelques semaines. Des dénonciations similaires avaient visé, par le passé, d’autres milieux professionnels mais sans jamais déboucher sur une prise de conscience nationale. En effet, le monde universitaire, celui du cinéma et des avocats ont connu ces dernières années des épisodes similaires. Mais eux aussi se sont rapidement essoufflés, en partie parce que les agresseurs présumés étaient rarement désignés nommément.
On est donc encore loin d’une libération de la parole sur les violences à caractère sexuel en Turquie, et l’écrasante majorité des coupables continuent de dormir tranquille comme par exemple dans le milieu des médias et de la politique. Un point positif, néanmoins : les organisations féministes ont fait beaucoup ces dernières années pour alerter l’opinion publique au sujet de ces questions et des violences en général, malgré les attaques dont elles sont régulièrement victimes de la part du pouvoir.
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