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Les intérêts divergents de la Russie, de la Pologne et de l'Allemagne dans le dossier du gazoduc Nord Stream 2

Une même actualité dans trois pays dans le monde : chaque jour dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières. Aujourd'hui le gazoduc Nord Stream 2 nous enmène en Russie, en Pologne et en Allemagne.

Article rédigé par franceinfo - Sarah Bakaloglou, Jean-Didier Revoin et Nathalie Versieux
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6 min
Une installation gazière russe dans la péninsule de Yamal, le 21 mai 2019. (ALEXANDER NEMENOV / AFP)

L'office anti-monopole polonais vient d'infliger une amende record à l'entreprise russe Gazprom. Le géant gazier est condamné à payer 6,45 milliards d’euros. Au cœur de la dispute, le gazoduc Nord Stream 2 dont la construction est achevée à plus de 90%. Il relierait directement la Russie à l'Allemagne, sans passer par la Pologne.

La Pologne, farouchement opposée au gazoduc Nord Stream 2

Les appels de la Pologne aux dirigeants européens à s’opposer à ce projet de gazoduc sont fréquents. La semaine dernière encore à Bruxelles, le Premier ministre polonais a dénoncé un projet "politique" mené par la Russie. Ce gazoduc Nord Stream 2 menace selon Varsovie la sécurité énergétique de l’Europe. Moscou pourrait ainsi, s’inquiète la Pologne, utiliser cette dépendance accrue au gaz russe pour faire pression politiquement sur les États.

60% des besoins polonais en gaz sont actuellement couverts par la Russie. Avec ce projet de gazoduc Nord Stream 2 qui reliera directement la Russie à l’Allemagne, sans passer par l’Ukraine ou la Pologne, les prix pourraient augmenter pour les consommateurs polonais et la marge de manoeuvre de la Pologne face à la puissante entreprise Gazprom se réduire encore davantage. Le gendarme de la concurrence, qui a infligé l’amende, l’a souligné hier. Mais la situation est amenée à changer : Varsovie a déjà prévenu que son contrat avec Gazprom ne sera pas renouvelé en 2022, date de son expiration. La Pologne compte notamment sur la Norvège, grâce à un nouveau gazoduc prévu pour dans deux ans.

En Russie, Gazprom ne compte pas se laisser faire par la Pologne

Le groupe russe a annoncé qu’il allait recourir contre la décision polonaise. Il invoque la violation des principes de la légalité et de la proportionnalité. Il estime en outre que le montant sans précédent de cette amende - 10% des revenus du groupe - montre que la Pologne s’oppose par tous les moyens à la construction du Gazoduc.

Le projet est stratégique pour les Russes : Il s’agit de doubler les capacités du gazoduc Nord Stream, opérationnel depuis 2012. L’idée est d’acheminer du gaz russe directement en Europe en passant sous la mer Baltique, sans passer par un pays tiers comme l’Ukraine. On se souvient des guerres du gaz de la fin des années 2000, lorsque Kiev prélevait du gaz russe destiné à l’Union européenne pour sa propre consommation au cœur d’hivers rigoureux, provoquant des coupures dans l’approvisionnement de l’Europe aux pires moments. Moscou cherche ainsi à sécuriser l’approvisionnement du marché européen pour éviter que les membres de l’UE ne recourent aux gaz de schistes américains, comme c’est déjà le cas de la Pologne même s’ils coûtent plus cher.

En Allemagne, ce dossier très politique commence à être explosif

Il reste 160 km de gazoduc à construire côté allemand, sur un total de 2 360 km. Mais les travaux sont gelés depuis que Washington a menacé la société suisse chargée de la pause des conduits sous-marins de sanctions. A priori rien ne se débloquera avant les élections américaines. Donald Trump a fait de la lutte contre le projet l'une de ses priorités. Les Allemands sont convaincus que Trump combat Nord Stream 2 pour mieux inonder l'Europe de gaz de schiste américain.

Trois sénateurs républicains ont même menacé en août la petite ville de Sassnitz - un port qui sert de base arrière aux bateaux engagés dans la construction du gazoduc -  de sanctions. La menace vise directement la chancelière, puisque Sassnitz se trouve dans sa circonscription. L'Allemagne de fait est prise en étau entre les États-Unis, la Pologne et la Russie et ne sait plus trop comment traiter le dossier, surtout depuis l'empoisonnement d'Alexeï Navalny. Une partie des élus conservateurs allemands évoque désormais la possibilité de stopper le projet.  

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