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La culture sacrifiée sur l’autel du Covid-19 : quelle est la situation chez nos voisins anglais, allemands et espagnols ?

Dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se fait ou se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui direction l’Angleterre, l’Allemagne et l’Espagne pour voir comment le secteur culturel, confronté à la pandémie de coronavirus, s’en sort.

Article rédigé par franceinfo, Ludovic Piedtenu, Mathieu de Taillac - Maxence Peigné
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Les "tablaos" où se produisent traditionnellement les danseurs de Flamenco dans le sud de l'Espagne sont frappés de plein fouet par la crise du Covid-19 (illustration). (PELAEZ JULIO / MAXPPP)

Le couperet est tombé jeudi en France. Alors que le président Emmanuel Macron avait fait miroiter une réouverture des salles et des lieux culturels mi-décembre, les mauvais chiffres de l'épidémie de Covid-19 l'ont empêchée. Désespéré, le monde de la culture et du spectacle a prévu de crier sa colère mardi 15 décembre lors d'une vingtaine de manifestations à travers tout le pays. Quelle est la situation chez nos voisins anglais, allemands et espagnols ?

En Angleterre, les théâtres menacés de disparition  

Le secteur culturel le plus en souffrance en Angleterre est le théâtre et l’exemple est particulièrement frappant à Londres, considérée comme la capitale mondiale du théâtre avec encore plus de billets vendus qu'à New York : 15 millions en 2019. En raison de la pandémie, les salles sont restées fermées quasiment toute l'année. Certains établissements avaient rouvert leurs portes à un public distancié à la fin du dernier confinement, le 2 décembre, mais ils devront à nouveau baisser le rideau mercredi 16 décembre, puisque Londres passe en niveau d'alerte maximale, ce qui implique de nouvelles restrictions.  

Le risque qui pèse désormais sur les théâtres est tout simplement de disparaître. Cet été, 70 % des théâtres britanniques craignaient déjà de faire faillite d'ici la fin de l'année. Et si Londres attire bien sûr l'attention avec son célèbre quartier du West End riche de 39 salles de spectacle renommées, il faut savoir qu'il y a 1 100 théâtres dans le pays et ce sont principalement les petits établissements qui sont en danger imminent. Les ventes de billets ont chuté de 93% avec la pandémie et ils ne peuvent plus compter sur la période des fêtes pour se renflouer. Le gouvernement a promis une aide de 1,75 milliard d’euros pour l'ensemble de culture. Mais la plupart des théâtres redoutent que cette somme bénéficie en priorité aux institutions les plus connues.

L'autre crainte, c'est que le secteur perde ses talents. 300 000 personnes travaillent en temps normal pour les théâtres britanniques mais 70% ne sont pas salariés et n'ont donc pas toujours bénéficié des mesures de chômage partiel. Tant et si bien, qu'un tiers pense à quitter ce milieu pour chercher du travail ailleurs.  

En Allemagne, le secteur culturel commence à hausser le ton  

Est-ce que la culture est considérée comme importante ou pertinente en temps de crise par les dirigeants politiques ? C’est la question posée par les acteurs culturels début novembre quand l’Allemagne a reconfiné. On a vu pas mal de grands orchestres du pays ou des théâtres diffuser sur Internet les images de salles vides ou des scènes désertes, ou bien parfois avec des instruments posés à terre. Et sur ces vidéos de vingt minutes comme 2020, rien qu’un silence oppressant avec ce mot-clé pour les réseaux sociaux, #SangundKlanglos (sans tambour ni trompette) pour attirer l’attention sur la situation précaire de leur secteur.  

Après des fermetures au printemps, puis une réouverture dans des conditions très limitées avec le respect des règles d’hygiène et puis l’annonce de ce second confinement et la fermeture de tous les lieux culturels quand les programmations recommençaient tout juste à fleurir, les artistes allemands comme en France, le vivent comme une menace existentielle et parlent même d’un enjeu de société.   Pourtant, le gouvernement allemand n’a pas été avare. L’aide financière annoncée au printemps a fait les gros titres jusqu’en France où l’on a comparé les plans en faveur de la culture dans les deux pays : 1 milliard d’euros pour un "nouveau départ pour le monde de la culture", c’était le titre de ce plan de sauvetage. Sauf qu’il permettait a priori de passer les quelques mois de la première vague, pas la seconde. L’Allemagne ne s’attendait pas non plus à être frappée aussi fortement par l’épidémie.

Les institutions culturelles ont fait de la résistance, elles ont plaidé leur cause auprès du gouvernement à l’aide des rapports épidémiologiques disponibles : aucun cas positif au coronavirus n’a été prouvé dans un théâtre, un opéra, un cinéma ou un musée. Et si le monde de la culture a courbé l’échine au printemps, il se montre beaucoup moins silencieux ces dernières semaines. Le gouvernement tente de rassurer tout le monde. L’Allemagne s’est mise à dépenser sans compter dans cette crise, et promet d’indemniser et d’éviter toutes fermetures définitives.  

En Espagne, c’est tout ou rien, selon les régions  

En Espagne, pays très décentralisé, les restrictions dépendent des communautés autonomes et sont ajustées selon l’évolution du virus sur leur territoire. Résultat, la situation des acteurs de la culture varie beaucoup, selon les régions. Par exemple, en Catalogne, on n’a pu à peu près rien faire pendant plus d’un mois. Aujourd’hui les cinémas, théâtres ou salles de concerts peuvent ouvrir à 50% de leurs capacités. À Madrid en revanche, tout est resté ouvert. Cinémas, théâtres, concerts ou musées. Et en Andalousie, tout est possible aussi mais il faut que ça se termine à 21 heures. Les artistes ont donc intérêt à maîtriser parfaitement la carte d’Espagne des restrictions pour établir par exemple les dates de leur tournée.  

Flambeau de la culture du sud de l’Espagne, le Flamenco lui se porte mal. Il se produit essentiellement dans des endroits que l’on appelle des "tablaos". Un "tablao" est une sorte de restaurant spectacle, de cabaret sans les plumes, avec une estrade en parquet pour qu’on entende bien le "taconeo", les coups de talon sur le bois. Et bien sûr, en raison de l’épidémie, ces tablaos sont à la croisée de tous les commerces frappés par les restrictions. Les spectacles ont lieu le soir, ce qui se complique en cas de couvre-feu, dans des restaurants, qui sont soit fermés, soit limités par des jauges. De plus les clients, à Madrid par exemple, sont à 90% des touristes étrangers dont les visites se sont effondrées depuis le printemps dernier. Bref, ils perdent sur tous les tableaux. Le gouvernement a pris des mesures de protection des travailleurs mais les employeurs baissent le rideau les uns après les autres. 

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