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Imposition minimale des entreprises : qu'en pensent l'Irlande, le Benelux et la Suisse ?

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, direction l'Irlande, le Benelux et la Suisse, des pays qui peuvent être directement impactés par cette idée d'impôt minimum mondial. 

Article rédigé par franceinfo - Émeline Vin, Pierre Benazet, Jérémie Lanche
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Les ministres des Finances du G7 se retrouvent à Londres le 4 juin 2021, pour la première fois depuis le début de la pandémie de Covid-19. (STEFAN ROUSSEAU / POOL / AFP)

Le G7 (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, États-Unis, Canada, Japon) Finances s'est ouvert vendredi 4 juin à Londres, avec en haut de l'agenda le projet d'impôt minimal mondial ravivé par l'administration du président américain Joe Biden. Les Américains avaient d'abord évoqué un taux minimum d'impôt sur les sociétés de 21% avant de se raviser pour 15%, afin de rallier plus de suffrages. Si le projet, souhaité notamment par Paris depuis plusieurs années, devrait rencontrer un soutien fort au G7, d’autres pays sont nettement moins enthousiastes. Tour d'horizon.

L’Irlande d’accord si on adopte son taux de taxation comme taux plancher

La réforme fiscale voulue par Joe Biden pourrait avoir un gros impact sur l’Irlande où le taux d'impôt sur les sociétés est particulièrement bas. L’idée d’un impôt mondial à 15 % fait en effet craindre pour l’attractivité du pays. Il faut dire que l’Irlande est très accueillante pour les entreprises, avec son taux à 12,5 %, même si, après optimisation fiscale, la plupart des géants du numérique, installés à Dublin, paient en fait moins de 10 %, voire 0 % dans certains cas. Selon le quotidien britannique The Guardian, le régime fiscal irlandais a permis l'an dernier à l’Américain Microsoft de ne payer aucun impôt sur les 260 milliards d’euros de profit de l’une de ses branches, soit les trois quarts du PIB irlandais.

Le manque à gagner est donc énorme pour les caisses de l'État pourtant le gouvernement irlandais est vent debout contre ce projet d'impôt mondial car, selon lui, cette taxation minimale va faire fuir les entreprises et provoquer la perte de 2 milliards d’euros de recettes fiscales par an. Hors de question donc de soutenir l'initiative, pour le ministre des Finances, Paschal Donohoe, interviewé par la chaîne britannique Sky News. "Un taux d’imposition qui serait à un niveau tel que seuls les plus grands pays, les plus grosses économies, peuvent en tirer parti, nous inquiète. Je suis fier que notre taux ait permis à un pays de notre taille de faire prospérer son économie !". Paschal Donohoe propose d'adopter le niveau de taxation irlandais comme taux plancher de cet impôt mondial. Sa position est incontournable en Europe : le ministre des finances irlandais préside l'Eurogroupe jusqu'à fin 2022.  

La Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, s’il le faut, pour redorer leur blason

Les pays du Benelux sont tous les trois à des titres divers des quasi-paradis fiscaux pour les entreprises ; la Belgique pratique les rescrits fiscaux, ces arrangements préalables avec les entreprises pour fixer à l’avance un niveau de taxation et attirer ainsi les entreprises ; mais ce sont surtout les Pays-Bas et le Luxembourg qui se sont faits les champions de cette pratique. Pour ces pays le projet d’un niveau minimal d’impôts sur les sociétés viendrait mettre à mal des pratiques fiscales établies de longue date et très rentables.

Mais la mise au jour des différents scandales financiers sur la taxation des multinationales pousse désormais ces pays à accepter le principe d’un niveau minimal mondial d’imposition, ne serait-ce que pour améliorer leur image. Si on en croit les autorités bataves, leur objectif est dorénavant de ne plus voir le nom des Pays-Bas figurer dans la liste des paradis fiscaux. "Nous ne serons pas ceux qui empêcheront un accord" sur un niveau d’imposition mondial, affirme désormais Hans Vijlbrief, le ministre des Finances. Les Pays-Bas ont vu régulièrement leur nom apparaître dans l’actualité ces dernières années avec en particulier les révélations des Paradise papers : si Nike a réussi à dissimuler des milliards d’euros au fisc américain via les Bermudes c’est grâce à un montage d’origine néerlandaise et c’est en rapatriant ses revenus européens aux Pays-Bas que l’entreprise a réussi à échapper à beaucoup d’administrations fiscales européennes. Et du côté des autorités de la concurrence, la Commission européenne a déjà, par exemple, jugé illégal le rescrit fiscal accordé par les Pays-Bas à Starbucks. L’UE a par ailleurs ajouté il y a deux ans à sa propre liste des paradis fiscaux un territoire de la couronne des Pays-Bas, l’île d’Aruba devenue ainsi le premier paradis fiscal indirectement associé à l’Union européenne. Et les protestations des citoyens néerlandais qui réclament plus de justice fiscale ont donc modifié la position des autorités bataves.

Et pour le Luxembourg, la préoccupation est désormais la même, ne plus se retrouver dans le collimateur. Le Luxembourg était devenu un centre financier mondial depuis les années 1960 et aujourd’hui le Grand-Duché accueille quatre mille milliards en investissements étrangers directs soit près de six millions d’euros par Luxembourgeois. Mais les LuxLeaks sont passées par là et le Luxembourg a revu sa politique fiscale afin de ne plus se voir pointer du doigt pour des niveaux d’imposition à moins de 1 % pour certaines multinationales quand le taux officiel d’imposition des sociétés est à plus de 24 %. Les révélations d’Openlux en février ont montré qu’il y avait encore des zones d’ombre dans les pratiques fiscales du Grand-Duché et le gouvernement luxembourgeois se dit désormais prêt à accepter un accord s’il établit des règles communes pour la planète. 

La Suisse peu inquiète si le taux reste à 15 %

Il y a un pays en Europe qui suit tout particulièrement les discussions sur un impôt minimal sur les sociétés : la Suisse. La patrie du secret bancaire a longtemps été un havre de paix fiscale pour les multinationales. C'est un fait que la Suisse possède des taux d'imposition sur les sociétés parmi les plus bas au monde. Ici, il y a autant de taux qu'il y a de cantons dans le pays.

Dans le détail, les entreprises payent un impôt fédéral fixe, à 8,5 %. Mais ensuite, chaque gouvernement local - il y en a 26 en Suisse – décide du barème qu'il veut appliquer. Le canton de Nidwald par exemple, ajoute ainsi 5,1 % d'imposition. Ce qui en fait l'un des territoires les plus attractifs, fiscalement, dans le monde, pour les entreprises, au même niveau que Hong Kong. En moyenne, l'imposition globale des sociétés varie de 11 à 21 % en Suisse. On peut en fait comparer la Suisse de ce point de vue, à l'Irlande en Europe.  

Joe Biden a récemment qualifié la Suisse de "paradis fiscal" et son idée de créer un impôt minimal mondial sur les sociétés risque de nuire au pays dont la marge de manœuvre serait forcément réduite. Le pays a toujours été très attractif pour les grandes sociétés. Avec un certain nombre de privilèges fiscaux. Mais ça a changé déjà depuis quelques années, notamment, sous la pression de l'Union européenne, de loin le premier partenaire commercial de la Suisse. Avant 2020 par exemple, il faut savoir que les multinationales payaient moins d'impôts en Suisse que les PME. Ce n'est plus le cas. Le taux minimum d'imposition dont on parle, c'est 15 %. Soit la moyenne constatée en Suisse. La mesure ne devrait donc pas provoquer un exil des grandes sociétés. Mais ce serait forcément différent si l'impôt montait à plus de 20 %, comme évoqué initialement par Joe Biden.

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