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Paradis fiscaux : on vous résume OpenLux, ces révélations qui épinglent le Luxembourg et des grandes fortunes françaises

"Le Monde" et 16 autres médias internationaux ont enquêté pendant plus d'un an à partir de documents publics pour mettre au jour des dizaines de milliers de sociétés offshore "gérant des actifs dont la valeur atteint au moins 6 500 milliards d’euros".

 

Article rédigé par franceinfo
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Vue de la ville de Luxembourg avec notamment la tour du bâtiment du Musée de la Banque en 2018. (SOBERKA RICHARD / HEMIS.FR / AFP)

Après LuxLeaks et les Panama Papers, voici OpenLux. Une enquête longue de plus d'un an, réalisée par Le Monde (réservé aux abonnés) avec seize autres médias internationaux et basée sur l'exploitation des données publiques mises en ligne par le Luxembourg, a révélé lundi 8 février les dessous du régime financier avantageux proposé par ce pays de l'Union européenne. 

Quelque 140 000 sociétés actives, soit une pour quatre habitants, ont été identifiées dans le Grand-Duché par ces médias qui ont passé au crible plus de 3 millions de documents. En réalité, l'immense majorité de ces sociétés seraient des holdings financières, qui n'ont pas d'activité économique réelle et dont le but est la planification fiscale. Franceinfo vous résume ce dossier.

Des milliers de sociétés fantômes gérant des milliards d'euros

Cette enquête affirme que sur les 140 000 sociétés enregistrées au Luxembourg, 55 000 ne sont en fait que des holdings, "des sociétés dont la seule fonction est de prendre des participations dans d'autres sociétés et d'effectuer des opérations financières", définit Le Monde dans le lexique qui accompagne son enquête. En somme, de simples boîtes aux lettres domiciliées au Luxembourg afin de bénéficier du régime fiscal très favorable du pays.

Ces milliers de sociétés gèrent des actifs dont la valeur atteignait au moins 6 500 milliards d'euros sur l'exercice 2018-2019, soit plus de 100 fois le PIB 2019 de ce pays de 600 000 habitants, troisième centre financier d'Europe après Londres et Zurich. "Pour avoir un ordre d'idées, c'est près de trois fois la richesse nationale produite en France pendant un an", illustre France Culture. L'enquête révèle que près de 90% de ces sociétés sont détenues par des non-résidents du Luxembourg. "Ces sociétés fantômes sans bureau ni salarié ont été créées par des milliardaires, des multinationales, des sportifs, des artistes, des responsables politiques de haut rang et même des familles royales", affirme Le Monde.

Une enquête basée sur des documents publics

LuxLeaks en 2014 et les Panama Papers en 2016 avaient été révélés grâce à la fuite de documents privés envoyés par des lanceurs d'alerte. Cette fois, OpenLux profite d'une directive votée par l'Union européenne en 2018, qui a exigé la création de registres publics des propriétaires réels des sociétés dans tous les Etats membres. Les journalistes du Monde se sont basés sur le registre du commerce et des sociétés (RCS), qui regroupe tous les actes administratifs des sociétés luxembourgeoises, et sur le registre des bénéficiaires effectifs (RBE), qui répertorie les propriétaires ultimes de ces sociétés.

Si le Luxembourg a fait un pas en avant vers la transparence, celle-ci est loin d'être totale. Pour obtenir les données nécessaires, les journalistes ont dû créer un programme informatique qui a simulé des recherches de milliers d'internautes pendant un an sur le site Luxembourg Business Register (LBR), qui centralise les deux registres. Cette technique, le "scraping de données", qui consiste à lancer des programmes informatiques pour cibler, récupérer et stocker automatiquement les données contenues sur internet, a permis un gain de temps précieux en évitant de taper un à un chaque nom de société. Au total, les journalistes ont mis la main sur "plus de 3,3 millions de documents, soit 1,3 téraoctet de données", écrit le quotidien. Cette base a été baptisée OpenLux, qui donne son nom à cette enquête.

Pour éplucher cette gigantesque masse d'informations, l'équipe d'investigation s'est appuyée sur Aleph, une plateforme de recherche élaborée il y a quelques années par l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un consortium de journalistes internationaux. Ce moteur de recherche permet de trouver des liens entre les informations collectées. Mais selon l'enquête, un tiers environ des comptes des sociétés n'ont pu être récupérés, le plus souvent parce qu'ils n'avaient pas été publiés, et seulement la moitié des bénéficiaires des sociétés ont pu être identifiés.

Près de 15 000 Français concernés

"Sur un territoire de 2 586 km2, Tiger Woods et la famille Hermès côtoient Shakira et le prince héritier d'Arabie saoudite. Des centaines de multinationales (LVMH, Kering, KFC, Amazon...) y ont ouvert des filiales financières", écrit Le Monde. Le quotidien avance également que "des fonds douteux, suspectés de provenir d'activités criminelles ou liés à des criminels visés par des enquêtes judiciaires, ont été dissimulés au Luxembourg". La mafia calabraise, la 'Ndrangheta, et la pègre russe sont citées. Parmi les 64 458 bénéficiaires identifiés par OpenLux, on retrouve au moins 279 des plus de 2 000 milliardaires mondiaux répertoriés par le magazine Forbes et 37 des 50 familles françaises les plus fortunées, telles que les Mulliez, les Guerrand-Hermès ou Bernard Arnault.

La France est le pays le plus représenté : près de 15 000 Français possèdent des sociétés au Luxembourg, totalisant au moins 100 milliards d'euros d'actifs, soit 4% du PIB français. Parmi ces concitoyens, "des grands patrons et leurs entreprises, des médecins et des collectionneurs d'art, des footballeurs et des producteurs de cinéma, des consultants et des pilotes de moto, des écrivains et de riches héritiers, des propriétaires fonciers et des figures de la 'start-up nation', des dirigeants de PME et des arnaqueurs professionnels", énumère Le Monde.

Une pratique qui permet de payer moins (voire pas) d'impôts

Les personnes dont les activités au Luxembourg ont été mises au jour par OpenLux sont-elles dans l'illégalité ? Difficile de répondre clairement. Première chose, ouvrir une société au Luxembourg est tout à fait légal. "Il faut justifier de son activité économique et expliquer pourquoi vous l'y avez domiciliée", confirme au Monde un avocat luxembourgeois. Regrouper ses activités dans une holding pour les gérer plus facilement aussi. Le faire au Luxembourg, plutôt qu'en France, permet de bénéficier d'une fiscalité plus avantageuse.

Ainsi, au Luxembourg, revendre une participation située dans une holding n'est pas taxé. En France, ça l'est à hauteur de 4%. Les profits réalisés par les entreprises sont également taxés à hauteur de 30% en France depuis l'instauration de la "flat tax" en 2017, quand ils échappent à toute taxe au Luxembourg. Selon les données d'OpenLux, fin 2019, plus de 15 milliards d'euros de profits jamais redistribués aux actionnaires ont été accumulés dans les sociétés luxembourgeoises appartenant à des Français. En France, cela équivaudrait à faire rentrer près de 5 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat.

Mais "secret fiscal oblige, il est impossible de dire si l'ensemble de ces schémas, révélés par OpenLux, sont effectivement connus du fisc, et si certains ont pu enfreindre la loi", assure Le Monde. De plus, les avancées du Luxembourg en matière de transparence (fin du secret bancaire, identification des bénéficiaires effectifs des sociétés, meilleure coopération internationale) ont rendu plus difficiles les tentatives de fraude. "En matière fiscale, le bon temps est un peu derrière nous. Il faut se faire une raison, on paie des impôts", conclut un fiscaliste interrogé par le quotidien.

Le Luxembourg assure respecter les règles

Le gouvernement du Luxembourg a réagi à cette enquête en affirmant que le pays "respecte pleinement toutes les réglementations européennes et internationales en matière de fiscalité et de transparence, et applique toutes les mesures communautaires et internationales en matière d'échange d'informations pour lutter contre les abus et l'évasion fiscale". L'OCDE et l'Union européenne "n'ont à l'heure actuelle identifié aucune pratique fiscale dommageable au Luxembourg", ajoute-t-il dans son communiqué. A Bruxelles, la Commission européenne a indiqué prendre note de cette enquête faite par la presse. "Ces investigations sont bien évidemment des éléments d'information importants qui poussent à des changements en exposant les failles qui peuvent exister dans le système." 

En France, certains élus se sont émus de ces révélations. "Écœuré par l'indécence fiscale qui règne encore en Europe, malgré les scandales à répétition ! Certes, c'est la transparence imposée par l'UE qui a permis les révélations OpenLux. Mais ça ne suffit pas : il faut réguler", a estimé le député européen écologiste Damien Carême, sur Twitter.

"Six ans après LuxLeaks, rien n'a changé. Et pour cause, l'UE refuse de lister le Luxembourg comme paradis fiscal", a dénoncé également sur Twitter Manon Aubry, députée européenne de La France insoumise.

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