Dix ans après le début de la guerre en Syrie, quelles conséquences en Allemagne, en Turquie et en Grèce ?
Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Direction l'Allemagne, la Turquie et la Grèce pour voir les conséquences de la guerre en Syrie.
La guerre en Syrie débutait il y a dix ans. Déclenché au printemps 2011 avec la répression de manifestations prodémocratie par le régime de Bachar Al-Assad, le conflit implique aujourd'hui une multitude de belligérants et des puissances étrangères. Lundi 15 mars, il entrera dans sa onzième année. Une guerre qui a eu des répercussions à l'échelle mondiale, comme en Allemagne, en Turquie et en Grèce.
En Allemagne, l'arrivée des réfugiés provoque la montée de l'extrême droite
Près de 750 000 Syriens vivent aujourd'hui en Allemagne. La plupart sont arrivés en 2015 et 2016 par la route des Balkans. À l'époque, Angela Merkel a été très critiquée pour sa politique migratoire. Contrairement aux idées reçues, la chancelière allemande n'a pas ouvert les frontières à l'été 2015. Elle a juste refusé de les fermer hermétiquement alors qu'une catastrophe humanitaire menaçait aux portes de l'Allemagne, dans la gare de Budapest. Du fait de son passé nazi, l'Allemagne ne pouvait se permettre un tel désastre. Un geste humanitaire qui a lancé des dizaines de milliers de réfugiés sur les routes, et provoqué un cataclysme politique avec la montée du parti d'extrême droite AfD. En quelques mois, l'Allemagne a accueilli près d'un million de réfugiés principalement syriens, afghans et pakistanais.
Le bilan politique a été lourd pour la chancelière. L'AfD a pu mobiliser sur le long terme contre les réfugiés notamment en ex-RDA et dans les régions désindustrialisées de l'ouest du pays. Aux dernières législatives en 2017 et aux élections européennes de 2019, l'AfD a réalisé des scores de près de 25% des voix dans certaines de ces régions. Avec le Covid-19, l'AfD qui n'est créditée d'aucune compétence sanitaire stagne autour de 8 à 10% des intentions de vote. Le flux migratoire s'est tari. Les réfugiés de 2015 ont entre temps souvent trouvé un emploi ou une formation. À quelques mois des prochaines législatives, le Covid-19 a remplacé les migrations en tête des préoccupations des Allemands.
En Turquie, Recep Tayyip Erdogan demande la révision de l'accord migratoire
Cinq ans après le début du conflit en Syrie, le 18 mars 2016, l'Union européenne et la Turquie signaient un accord migratoire. L'UE s'engageait à verser trois milliards d'euros, puis trois milliards de plus, pour aider la Turquie à accueillir sur son territoire trois millions et demi de Syriens. En échange, elle promettait d'empêcher les départs, donc la survenue d'une nouvelle "crise des réfugiés". Le président turc Recep Tayyip Erdogan a commencé à critiquer assez tôt l'accord. Sur le volet financier – les fameux six milliards d'euros – Recep Tayyip Erdogan aurait voulu qu'ils soient versés directement dans les caisses de l'État, et non alloués au cas par cas sur la base de projets. Ce qui lui a donc permis de critiquer la "lenteur" (de son point de vue) des financements. Par ailleurs, cet accord prévoyait aussi tout un volet politique en faveur d'Ankara, dont la levée des visas Schengen pour les citoyens turcs et la relance des négociations d'adhésion à l'Union européenne. Sur ces points-là, les autorités turques n'ont presque rien obtenu, principalement à cause de leurs violations répétées des droits de l'homme. Recep Tayyip Erdogan a donc menacé plusieurs fois de "déchirer" l'accord. Ces derniers temps, le ton est plus apaisé. Il demande sa "révision".
Le président turc demande plus d'argent car objectivement, la présence de trois millions 600 mille réfugiés syriens pèse sur les services publics turcs et tout indique qu'une grande partie de ces Syriens ne repartiront pas, du moins pas de sitôt. Donc la Turquie attend à minima de nouveaux financements pour les projets déjà mis sur pied. L'autre grande raison pour laquelle Tayyip Erdogan veut réviser l'accord, c'est que les Syriens ne constituent plus l'essentiel des flux migratoires qui passent par la Turquie. Ces cinq dernières années, un tiers des migrants illégaux arrêtés en Turquie étaient des Afghans, auxquels il faut ajouter des Pakistanais, des Palestiniens, des Irakiens... D'ailleurs, lorsque le président turc a prétendu "ouvrir les portes de l'Europe" il y a un an, on a bien vu que les Syriens ne représentaient qu'une minorité des migrants qui ont afflué à la frontière avec la Grèce, dans l'espoir d'y entrer. La position d'Ankara change avec l'évolution des flux migratoires, et Recep Tayyip Erdogan veut que l'Europe en tienne compte.
En Grèce, les demandeurs d'asile piégés dans les camps
Jusqu'à présent, plus d'un million et demi de demandeurs d'asile sont passés par la Grèce dont une majorité de Syriens. Désormais, au terme de l'accord Europe et Turquie beaucoup sont piégés dans le pays, en grande partie dans les cinq camps d'identification des îles grecques qui font face aux côtes turques d'où ils arrivent. Récemment, le gouvernement conservateur se félicitait d'avoir fait baisser considérablement les arrivées de demandeurs d'asile via la surveillance accrue des frontières, mais les ONG sur place sur les îles parlent même d'opérations organisées de "push back", c'est à dire de renvois en pleine mer des barques remplies de migrants, ce qui est illégal au terme du droit de la mer. Mais selon Greg, psychologue de Médecins sans frontières à Lesbos cela ne va pour autant arrêter les gens de tenter l'impossible. "Les conditions sont difficiles mais Il ne faut pas perdre de vue que les migrants fuient avant tout un enfer, assure-t-il. Ils risquent leur vie pour échapper à la mort dans leurs pays."
L'afflux de réfugiés a un impact sur la population. Les insulaires sont fatigués. Ils ont dans un premier temps accueilli les réfugiés à bras ouverts mais ils ont l'impression que leur îles sont devenues les prisons à ciel ouvert de l'Europe pour les migrants. Les insulaires estiment être oubliés de tous. Cela divise les gens en deux camps, les pro et les anti-migrants, mais c'est surtout devenu un enjeux électoral et cela nourrit les politiques d'extrême droite. Récemment, un député d'un parti d'extrême droite a proposé d'envoyer tous les migrants sur des îles désertes comme du temps ou les Colonels exilaient les opposants politiques.
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