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Témoignages
"On ne comprend pas cet acharnement" : après la colère du monde agricole, les agents de l'OFB confient leur incompréhension
C'est une parole rare. Les 1 700 agents de l'Office français de la biodiversité sont restés discrets pendant les manifestations du monde agricole. Ceux qui font respecter les règles environnementales ont été très critiqués par les agriculteurs. Plusieurs locaux de l'organisme ont été ciblés à coups de purin ou de feux de pneus.
Philippe se qualifie lui-même de "policier de la nature". Il est chargé notamment de faire respecter les règles environnementales auprès des agriculteurs dans le Puy-de-Dôme. Plus de vingt ans qu'il fait ce travail et pourtant cet agent de l'OFB a été surpris de la colère du monde agricole contre l'institution. "On ne comprend pas très bien cet acharnement parce que, comme un gendarme au bord de la route fait respecter le code de la route, on est au milieu des champs et on fait respecter la réglementation vis-à-vis de la protection de la nature.
"On entend de temps en temps aussi qu'on est un peu extrémiste dans nos positions écologiques mais non. Ça ne fait jamais plaisir quand la police a quelque chose à vous reprocher."
Philippe, agent de l'OFB dans le Puy-de-Dômeà franceinfo
"Il faut qu'ils comprennent qu'ils font parfois des choses qui vont à l'encontre de ce qui est prévu", ajoute l'agent. Même surprise chez son collègue David, qui l'accompagne ce matin-là pour une mission de cartographie des castors. Il s'agit l'une des nombreuses missions de l'office. Il décrit des relations cordiales avec le monde agricole, malgré parfois quelques différends. "On dialogue avec eux sur le terrain, indique David. On les convoque, on leur dit ce qu'ils encourent et c'est souvent là que ça coince parce qu'au niveau environnemental, les faits relèvent souvent du délit, donc les peines maximales sont souvent élevées. Mais globalement, nous sur le département, on n'a pas eu de problèmes avec les agriculteurs. Ça se passe bien. Quand je vois un agriculteur, je n'ai aucune crainte."
Et il balaie l'une des principales critiques contre l'OFB : le pistolet à la ceinture de chaque agent. Le Premier ministre Gabriel Attal s'était même interrogé sur ce port d'arme. Il est finalement conservé mais devra être "discret". Il n'y aura pas d'arme apparente, selon les nouvelles règles. Un faux débat juge David : "L'armement, c'est un faux problème. Il y a déjà eu des morts en service chez nous. Mais sur les 40 dernières années, il n'y a pas eu d'accident avec un agent de l'OFB. Et contrairement à ce que pourraient croire des gens, on est formés, entraînés et suivis." L'OFB minimise aussi la pression des contrôles. En 2023, il y en a eu 2 750, soit moins de 1% des exploitations françaises contrôlées. En moyenne, les agents de l'OFB dressent chez les agriculteurs par département 13 PV par an.
Un dialogue à renouer avec les agriculteurs
Mais ce n'est pas le ressenti du monde agricole, et même pas du tout comme en témoigne Thierry Orsière, éleveur de moutons (1 400 bêtes) à Leuzoux dans le Puy-de-Dôme. Selon lui, les relations avec l'OFB sont parfois difficiles. Ce n'est pas à cause des agents eux-mêmes mais de l'empilement de normes qu'ils sont chargés de faire respecter. "Là où on a de la méfiance, c'est par rapport aux contrôles, raconte Thierry Orsière. On a toujours la peur d'avoir fait des choses qui ne sont pas forcément 100% autorisées."
"Une bonne partie des lois et des règles évolue en permanence. On n'est pas certain d'être toujours parfaitement au courant de tout ce qu'on doit respecter."
Thierry Orsière, éleveur dans le Puy-de-Dômeà franceinfo
Et rapidement dans la conversation revient la question de l'arme à la ceinture des agents. "C'est vrai qu'on a du mal à concevoir qu'ils viennent armés comme des gendarmes, explique l'éleveur. On est un peu pris pour des délinquants ou pour des justiciables. Comme on est de bonne foi sur nos pratiques, on a du mal à concevoir que les gens soient armés pour faire juste des entrevues ou des contrôles."
Pour renouer le dialogue, l'OFB organise des formations chez les agriculteurs. Elles sont encore très peu nombreuses, 16 ont eu lieu depuis 2022. L'une d'elles au mois de janvier sur l'exploitation de Thierry Orsière. Une initiative plus que bienvenue, salue Julie Blanchon, responsable de l'Office français de la biodiversité dans le Puy-de-Dôme : "On ne peut peut-être pas se comprendre sur tout, mais au moins s'ouvrir à l'autre. Les exploitations agricoles, on les côtoie tous les jours. Mais là, vraiment, d'entendre ce qu'est le quotidien d'un agriculteur, ça ouvre les yeux sur des difficultés qu'on touchait du doigt, et c'est l'occasion de bien les comprendre."
Des agents délaissés par le gouvernement ?
Mais ce qui passe moins, c'est la position du gouvernement pendant la crise agricole. Gabriel Attal promettait de faire "baisser la pression des contrôles". Au plus fort des manifestations, une consigne est passée pour ne plus faire de contrôles administratifs. Le Premier ministre évoquait aussi une "mise sous tutelle des préfets", ce qui est en fait déjà le cas. "Gabriel Attal nous a désignés comme boucs émissaires", déplore Véronique Caraco-Giordano, secrétaire générale du Syndicat national de l'environnement. Elle s'inquiète pour l'avenir de l'office : "On ne sait toujours pas où on va. On continue à accomplir nos missions, mais on ne sait pas comment on va se situer par rapport à la profession agricole. Qu'est-ce qui nous pend au nez encore une fois ?"
"La remise en question a été tellement forte qu'on peut se poser la question du soutien politique, et c'est ça qui est inquiétant."
Véronique Caraco-Giordano, secrétaire générale du Syndicat national de l'environnementà franceinfo
Les syndicats alertent aussi sur des "reculs environnementaux inédits" depuis la crise agricole et le risque d'une "perte de sens" pour les agents de l'OFB, qui sont nombreux à s'être engagés par passion pour l'environnement.
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