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Lutte contre les déserts médicaux : "N’importe quel troufion avec trois mois de formation pourra renouveler les ordonnances", dénonce un médecin opposé au transfert d’actes

Et si pour lutter contre les déserts médicaux, on permettait à des infirmiers, des pharmaciens, des kinés ou encore des podologues de réaliser des actes jusqu’ici réservés aux médecins ? Si l’idée est défendue par le gouvernement, elle est fortement critiquée par les syndicats et l’Ordre des médecins.
Article rédigé par franceinfo, Solenne Le Hen
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une infirmière prend la tension d'un patient (illustration). (J DUTAC / MAXPPP)

Comment lutter contre les déserts médicaux ? Parmi les solutions avancées, le gouvernement souhaite déléguer des tâches ou des compétences aux dentistes, par exemple, ou aux professions paramédicales pour lutter contre les déserts médicaux. Emmanuel Macron l’a même encouragé lors de ses vœux au monde de la Santé, début janvier 2023.

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Car six millions de Français ne trouvent pas de médecin traitant. Le temps de former de nouveaux généralistes en nombre, il va en manquer sérieusement encore pendant au moins une dizaine d’années. Alors, d’ici là, il va bien falloir se débrouiller autrement, explique Pascale Mathieu, présidente de l’Ordre des kinésithérapeutes. "On peut imaginer un partage de tâches ou un transfert de tâches"; assure-t-elle.

"C’est ce qu’a fait le Royaume-Uni, par exemple. Face au manque de médecins, les kinésithérapeutes voient les patients qui ont des troubles musculo-squelettiques, peuvent prescrire des arrêts de travail, des antalgiques, de l’imagerie et commencer la rééducation."

Pascale Mathieu, présidente de l’Ordre des kinésithérapeutes

à franceinfo

"Ça se fait depuis 2018 et tout le monde en est très satisfait", assure-t-elle. En France, aussi, il y a eu quelques transferts de compétences : les pharmaciens, par exemple, vaccinent depuis quelques années. Cela avait soulevé la fronde d’une partie des médecins à l’époque, mais aujourd’hui, ce n’est plus remis en cause. 

Pour décharger les médecins, il y a aussi l’idée de "l’accès direct". Aujourd’hui, pour consulter un kiné ou un orthophoniste, on est obligé de passer d’abord par le médecin traitant qui vous oriente ensuite vers ces professionnels de santé. À l’avenir, ce ne serait plus le cas, prévoit une proposition de loi de la député Renaissance Stéphanie Rist, soutenue par le gouvernement, qui sera débattue mardi 17 janvier au soir à l’Assemblée. "Imaginez que vous avez mal au dos, une lombalgie. Pour votre médecin, ce n’est pas une urgence parce qu’il aura bien d’autres personnes à voir avant vous, développe Pascale Mathieu. Il se peut que vous ayez votre rendez-vous dans une semaine. Et s’il décide qu’il vous faut de la kinésithérapie, il faudra peut-être encore une semaine de plus pour mettre en place le rendez-vous. Alors que si vous veniez directement chez le kinésithérapeute, il va vous examiner. Il déterminera s’il peut vous recevoir ou s’il y a des choses qui l’inquiètent qui nécessitent la consultation d’un médecin. Sinon, il commencera directement la rééducation".

Le recours aux infirmiers de pratique avancée

Cette proposition de loi prévoit aussi un accès direct aux infirmiers de pratique avancée (IPA). Magali Lecoutre, IPA spécialisée dans le suivi des maladies chroniques stabilisées comme le diabète, donne une consultation près de Tours. "On va regarder un peu l’historique de vos glycémies", explique-t-elle à un patient qui lui avoue que, depuis qu’il a "été opéré, c’est une catastrophe". Pour cela, Magali Lecoutre a fait deux ans d’études supplémentaires : non seulement, elle peut faire un examen clinique, mais aussi rédiger ou renouveler des ordonnances. Si bien que Philippe, le patient, voit peu de différence avec son médecin diabétologue. "Pour moi, c’est similaire, affirme-t-il. Il n’y a pas d’intérêt à voir la diabétologue à moins qu’il y ait un gros problème. C’est très bien comme ça".

Magali Lecoutre travaille en coordination avec une médecin diabétologue. "Cette profession a été créée avant tout pour libérer du temps médical. Pendant que je reçois les gens en consultation, la docteure Gervaise est, elle, à la clinique de l’Alliance, un hôpital de jour, pour voir ses autres patients. Elle a, actuellement, un peu plus de 2000 patients à suivre en diabétologie. Ce qui est énorme !" L’infirmière insiste cependant : elle n’est pas médecin. Elle vient en complément. Et si la proposition de loi Rist est adoptée, les patients pourront demain, directement la consulter.

Un danger pour la santé dénoncent des médecins 

Mais la grande majorité des syndicats et l’Ordre sont réticents à déléguer davantage de tâches. "La formation de pratique avancée est quand même très floue", critique le Dr Julien Sibour, généraliste dans les Bouches-du-Rhône et porte-parole du collectif Médecins pour demain, qui affiche sa totale opposition. On parle de seulement six mois de stage", s'indigne-t-il.

"On est à un niveau d’externe de médecine qui n’a pas du tout les compétences pour gérer un patient tout seul. Il faut vraiment que les gens comprennent que leur santé va être mise en danger, qu’il va y avoir des retards de prise en charge, des erreurs médicales."

Dr Julien Sibour, généraliste et porte-parole du collectif Médecins pour demain

à franceinfo

 

"Demain, le président décrète qu’un renouvellement d’ordonnance pour un diabète, voire un patient polypathologique, c’est simple. Dans ce cas-là, n’importe quel troufion avec trois mois de formation pourra les renouveler, poursuit-il. C’est difficilement entendable. On voit vraiment qu’il y a un mépris de notre profession aujourd’hui". Ce généraliste préférerait que le gouvernement attire davantage de jeunes confrères vers l’activité libérale en ville. En tout cas, tous les médecins le disent, ils souhaitent rester au centre du dispositif de soins français, conscients qu’ils vont assister dans les prochains mois à un tournant dans la définition de leur métier.

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