Témoignages
Santé : "Mon visage était tout simplement ruiné", les dérives de la chirurgie esthétique chez les jeunes adultes
C’est un secteur en pleine cure de jouvence. La chirurgie et la médecine esthétiques attirent de plus en plus de jeunes Français, âgés entre 20 et 30 ans, qui veulent se faire gonfler les lèvres ou bomber les fesses, parfois sous l’influence des réseaux sociaux…Et avec pas mal de dérives à la clé.
On n’attend donc plus forcément d’avoir des rides pour se faire retoucher. Les moins de 35 ans représentent désormais la moitié de la patientèle du groupe de médecine esthétique leader en France, quand ils n'étaient que 5% il y a 12 ans.
Parmi ces patients, majoritairement des femmes, qui demandent notamment des lèvres plus pulpeuses. C’est ce que souhaitait Mahéra, 24 ans, étudiante dans le Val-d’Oise. Elle est allée voir un chirurgien esthétique, il y a 8 mois, "parce que lorsque je me voyais dans le miroir, je trouvais que ma lèvre supérieure était un peu plus petite que celle du bas. Je sais que c'est naturel, tout le monde a ça, mais je voulais refaire l'ourlet, histoire de voir si ça me plaisait un peu plus", admet-elle.
"C'est le fait d'avoir vu plusieurs filles, des amies, refaire leurs lèvres... Je pense que malheureusement, aujourd'hui, c'est un effet de mode. C'était surtout un caprice"
Mahéraà franceinfo
Un "caprice" facturé 500 euros pour deux séances d’injection d’acide hyaluronique, très en vogue dans les cabinets de chirurgie esthétique et dont les effets s’estompent au bout de quelques mois. Ces jeunes femmes demandent aussi à redessiner leur nez, faire prendre du volume à leurs fesses, ou, plus classiquement, à leur poitrine.
Les filtres des réseaux sociaux face à la réalité
Adel Louafi, qui préside le syndicat national de chirurgie plastique réparatrice et esthétique, y voit un double effet des réseaux sociaux : "D'une part à cause des influenceuses qui ont véhiculé une nouvelle image pour le corps avec des formes plus généreuses, en particulier pour les fesses. Et puis à cause des filtres sur les réseaux sociaux, dont les jeunes ont tendance à ne pas faire la différence entre une image filtrée, qui est lisse, parfaite, et l'image réelle".
Selon ce spécialiste, certains finissent par vouloir être dans la réalité, comme leur image retouchée par les applis. Toutefois, cet effet présumé des réseaux sociaux sur le physique répond également à une offre plus adaptée aux jeunes, avec le développement de la médecine esthétique moins intrusive que la chirurgie. Plus besoin, donc, de passer au bloc pour des injections ou du laser.
Autre innovation du secteur : des produits spécifiques pour les jeunes. "Le 'baby botox' est du botox de prévention qu'on démarre un peu plus tôt entre 28 et 30 ans. C'est exactement le même traitement, avec un nom plus marketing qui a été lancé pour les jeunes, détaille Tracy Cohen Sayag, qui dirige le groupe Clinique des Champs-Élysées, leader du secteur. Le panier moyen est de 300 euros en moyenne pour les 18-25 ans. Nous avons également mis en place des facilités de paiement. Dans le médical, c'est très rare. Et puis, on a des prix, aussi, qui sont plus avantageux sur les 18-25, comme l'épilation laser par exemple. Le problème de notre industrie est que l'on met toujours l'accent sur les excès."
"J'ai appris qu'elle m'avait sectionné des nerfs"
Poussée notamment par ce rajeunissement de la patientèle, le secteur se porte particulièrement bien. Tracy Cohen Sayag prévoit ainsi d’ouvrir dix nouvelles cliniques avant la fin de l’année. Mais les médecins ne sont pas les seuls à profiter de cet engouement : d’autres le font illégalement. En France, seuls les médecins ont le droit d’effectuer des injections à visée esthétique. Or, de faux professionnels le font aussi, souvent à prix cassés, dans un appartement de banlieue. Parfois, certains jouent une autre carte : ils proposent les mêmes services à des prix élevés dans des appartements loués sur des plateformes telles qu'AirBnb, dans des quartiers chic de Paris. C'est ce qui est arrivé à Ana, 33 ans, qui a déboursé 2400 euros pour une injection clandestine ratée.
"J'ai eu une paralysie partielle du visage, et puis, je ne pouvais pas sourire sans que mes yeux se ferme. Mon visage était tout simplement ruiné. Elle m'a demandé 600 euros pour réparer les dégâts : j'ai refusé et j'ai alors consulté un autre praticien qui m'a dit que l'on m'avait injecté un produit bas de gamme, que mon corps avait rejeté. En plus de cela, j'ai appris qu'elle m'avait sectionné des nerfs", décrit-elle. Après "un parcours du combattant", Ana a pu finalement retrouver son "visage d'origine". Ce cas n'est pas isolé : une centaine de signalements similaires ont été faits à la police l’an passé, avec des complications parfois lourdes, telles que des nécroses avec amputations d’une partie des lèvre, nez ou fesse.
Nous avons alors tenter de joindre une esthéticienne, accusée d’injection illégale par une cliente, dont les joues ont été déformées. La discussion a tourné court :
- franceinfo : On peut voir "injection d'acide hyaluronique" en troisième position sur votre profil Instagram, notamment.
- Esthéticienne mise en cause : "Monsieur... Déjà, je ne suis pas au commissariat, là. Tout ce qui est réseaux sociaux, ce n'est pas géré par moi. Et je ne propose pas du tout ce type de prestation."
- Nous avons des témoignages de personnes qui affirment que vous leur avez fait des injections.
- "Ah bon ? Écoutez, franchement... Là, je suis en prestation actuellement", explique-t-elle avant de raccrocher brusquement.
Le syndicat national de chirurgie plastique, réparatrice et esthétique a déposé ou s’est associé à une quinzaine de plaintes. Il demande un meilleur encadrement de la vente d’acide hyaluronique afin de limiter ces injections clandestines.
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