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Reportage
"On remplace un, voire deux médecins à la fois" : le futur plafonnement du salaire des médecins intérimaires inquiète en pleine crise de l'hôpital public

Les hôpitaux publics tentent d'anticiper le futur plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires. Des renforts pourtant essentiels au bon fonctionnement de certains services.
Article rédigé par franceinfo, Solenne Le Hen
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Aux urgences de l'hôpital de Rodez, dans l'Aveyron, le médecins titulaires ont prévu de faire des heures supplémentaires en avril pour pallier l'absence de certains intérimaires. (SOLENNE LE HEN / RADIO FRANCE)

On les appelle les "mercenaires" de l'hôpital, payés parfois à prix d'or. À partir du lundi 3 avril, le gouvernement va tenter de mettre fin aux dérives des salaires des médecins intérimaires, qui gagnent "jusqu'à 6 000 €" pour 24 h de travail, dit le ministre de la Santé. Désormais, la loi s'appliquera avec un salaire plafonné à presque 1 400 euros bruts pour 24 heures, un plafond remonté par le ministre de la Santé, François Braun, dimanche 26 mars.

>> Crise à l'hôpital : comment le ministre de la Santé veut s'attaquer aux médecins intérimaires

Le gouvernement s'attend à des semaines de bras de fer, car certains intérimaires ont fait savoir que dans ces conditions, ils ne travailleront plus à l'hôpital et disent qu'ils tiendront plusieurs mois s'il le faut. Parmi eux, le Dr Eric Reboli, il est urgentiste et également président du syndicat des médecins remplaçants hospitaliers. Selon ses calculs, la rémunération maximum de 1 390 euros bruts pour 24 h de travail, revient à moins de 40 € nets de l'heure. C'est insuffisant selon lui : "On nous demande d'aller dans des établissements qui sont en difficulté, où on remplace un, voire deux médecins à la fois."

Journées à rallonge

Eric Reboli dénonce une charge de travail "énorme", "24 heures d'affilées sans dormir, la plupart du temps, sans manger" décrit le médecin, "et puis après, on reprend la route pour rentrer chez nous alors que la veille, on a dormi à l'hôtel et que l'on a fait éventuellement des centaines de kilomètres". "On tient l'hôpital à bout de bras, constate Eric Reboli, Et ce sont les intérimaires qui bouchent le trou, qui font des fois des centaines de kilomètres pour aller empêcher un service, un établissement, un bloc, une maternité de fermer."

Selon le ministre de la Santé, certains intérimaires prennent jusqu'à 6 000 € pour 24 heures de travail. "Ce sont des exceptions", répond directement Eric Reboli, "il y a 10 000 à 12 000 intérimaires en France environ, nous ne sommes pas 12000 à gagner 6 000 € par gardes. En moyenne, pour une garde de 24 heures, je gagne environ 1 500 €. Si on déduit les congés payés et la précarité, cela représente la somme de 50 € de l'heure. Pour un médecin au niveau Bac+10, ça me parait honnête comme salaire. Le maximum que l'on m'ait proposé, c'était 2 500 € pour 24 heures dans un hôpital à l'autre bout de la France, personne ne veut y aller"

"Notre hôpital a le plus gros plateau technique du département, Rodez ne peut pas fermer ses urgences. Ca c'est impossible".

Cheffe du pôle des urgences de l'hôpital de Rodez

à franceinfo

De leur côté, les hôpitaux publics se préparent à faire sans ces intérimaires. Au sein du service des urgences de Rodez, dans l'Aveyron, quatre postes de médecins ne sont pas pourvus et une dizaine d'intérimaires se relaient. Ils sont rémunérés jusqu'à 1 400 € pour une garde de 24 heures. Mais pour le mois d'avril, ces remplaçants n'ont pas fait savoir s'ils travailleront, alors le Dr Séverine Cahun la cheffe du pôle, a fait ses plannings sans eux. "En avril, tous les titulaires feront entre 30 et 40 heures supplémentaires", détaille le Dr Cahun, "c'est un peu plus que ce qu'on fait de façon habituelle". Mais dans le service, tout le monde a accepté, "c'est déjà assez difficile comme ça, donc on est tous soudés et on fait tous du temps additionnel de façon volontaire".

Le Dr Séverine Cahun la cheffe du pôle des urgences de Rodez, dans l'Aveyron (SOLENNE LE HEN / RADIO FRANCE)

Comment faire sans les intérimaires, quelles sont les autres solutions ? Ces questions, le directeur départemental de l'Agence régionale de Santé, Benjamin Arnal, y travaille depuis plusieurs mois. "Nous devons travailler aussi à une adaptation de l'offre, déprogrammer certaines activités, par exemple, comme celles qui n'auraient pas de conséquences immédiates sur la santé des patients", explique Benjamin Arnal. Le directeur départemental de l'Agence régionale de Santé peut aussi compter sur du soutien en dehors du département, "notamment avec l'appui des CHU si possible. Il y a eu des demandes qui ont été faites, par exemple sur le Sud-Aveyron pour des appuis ponctuels, pour les premiers jours, s'il y a des intérimaires, qui ne venaient pas. On essaie de vraiment de trouver tous les modes d'organisation et d'entraide possibles."

D'ailleurs, une prime est prévue pour les médecins titulaires, la prime de solidarité territoriale, entre 1 700 et 2 200 € la journée supplémentaire de travail. "C'est une prime qui permet à un praticien d'aller renforcer, aider, donner un coup de main à un établissement du territoire proche ou plus lointain, parfois seulement pour une ou deux dates. Mais ça permet de passer des caps", détaille Aurélia Gambaraza, directrice en charges des affaires médicales à l'hôpital de Rodez.

Vincent Prévoteau, directeur de l'hôpital de Rodez, dans l'Aveyron, également président de l'Association des directeurs d'hôpitaux (ADH). (SOLENNE LE HEN / RADIO FRANCE)

En appliquant une rémunération plafonnée, le gouvernement espère d'abord économiser de l'argent. Selon le ministère de la Santé, l'intérim médical coûte 1 milliard et demi d'euros aux hôpitaux français chaque année. En rendant l'intérim moins intéressant, le but est aussi que les remplaçants décident finalement de s'engager à long terme avec un établissement. Aujourd'hui, un tiers des postes de médecins ne sont pas pourvus à l'hôpital.

À Rodez, embaucher, fidéliser, c'est le souhait du directeur, Vincent Prévoteau, également président de l'Association des directeurs d'hôpitaux : "Tout l'enjeu, c'est d'avoir les outils pour pouvoir recruter, pour que l'on puisse massifier nos équipes. Et on sait que des équipes stables, des équipes complètes sont aussi des vecteurs de qualité et de sécurité". En attendant, la question reste de savoir si lundi 3 avril les hôpitaux vont pouvoir tourner sans une partie de leurs médecins intérimaires habituels et combien de temps vont-ils tenir sans devoir fermer des services. 

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