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Témoignages Grève des médecins libéraux : entre "journées millimétrées", "paperasse" et "respirations", cinq généralistes ouvrent leur agenda

En cette journée de fermeture de certains cabinets, des médecins racontent à franceinfo leurs semaines de travail, plus ou moins longues, fruits d'arbitrages entre la volonté de soigner et la nécessité de se préserver.
Article rédigé par Florence Morel, Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les médecins généralistes déclarent travailler en moyenne 54 heures par semaine, selon une étude du service statistique du ministère de la Santé de 2019. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Malgré la Saint-Valentin, pas de mots doux sur les pancartes. Les médecins libéraux sont appelés à fermer leurs cabinets et à manifester à Paris, mardi 14 février, pour demander à l'exécutif de "redonner à la médecine de ville des moyens à la hauteur des enjeux". En pleines négociations avec l'Assurance maladie, les organisations représentatives souhaitent "une enveloppe financière supplémentaire" afin d'"améliorer l'accessibilité aux soins pour tous les Français" et s'inquiètent d'évolutions récemment votées à l'Assemblée nationale, comme une "obligation collective" d'assurer des gardes en soirée. Le rassemblement est prévu à 13 heures devant le Sénat, où la proposition de loi critiquée doit être examinée.

Dans un contexte de crise du secteur de la santé en France, les médecins libéraux sont priés de prendre part à l'effort collectif, notamment en accueillant davantage de patients pour soulager les services d'urgences. Pourquoi pas, répondent certains d'entre eux, à condition de doubler le tarif des consultations à hauteur de 50 euros, afin de pouvoir, entre autres, recruter des assistants médicaux. Mais pas question de rallonger leurs journées, déjà rythmées par 54 heures de travail en moyenne par semaine, selon une étude du service statistique du ministère de la Santé datée de 2019.

>> Grève des médecins : des généralistes témoignent de leur quotidien, entre amour du soin, surcharge de patients et paperasse

A quoi ressemble aujourd'hui le quotidien de nos médecins généralistes ? Pour franceinfo, cinq d'entre eux ont accepté d'ouvrir leur agenda et de dévoiler leur emploi du temps sur une semaine récente. Du Pas-de-Calais aux Bouches-du-Rhône, en passant par la région parisienne, ces hommes et femmes de 37 à 64 ans, grévistes ou non, racontent leurs journées. Certains flirtent avec les 35 heures, d'autres s'approchent du double. Autant de choix de vie différents, pour exercer un même métier au service des autres. En essayant de ne pas trop s'oublier.

François Coubard : "Finir à 19h45, c'est tôt pour moi"

L'emploi du temps de François Coubard, la semaine du 30 janvier 2023. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

64 ans, installé en libéral à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). "Pour la première fois en 37 ans de carrière, je fais grève. La Sécu propose d'augmenter de 1,5 euro la consultation, en échange de gardes obligatoires. Mais il faudra qu'on m'explique comment un médecin de garde le jeudi soir peut assurer sa journée le vendredi. Pendant huit ans, j'ai cumulé mon cabinet avec les gardes SOS Médecins. Entre les appels, je dormais sur ma table d'examen. Au bout d'un moment, ma femme m'a demandé de faire un choix. J'ai arrêté. 

Terminé également les consultations du samedi matin, et les nouveaux patients acceptés comme médecin traitant. Je me suis mis à prendre une semaine de vacances tous les deux mois, et depuis deux ans, je m'accorde même une heure pour le déjeuner. Avant, je mangeais un sandwich, voire rien du tout. Ces choix ont changé ma vie.

En revanche, je suis un des rares médecins à avoir conservé des créneaux sans rendez-vous, tous les après-midi, jusqu'à 18h15. Cela déborde souvent, pour ne pas dire systématiquement. Sans compter qu'une fois mon cabinet fermé, je prends le temps de rappeler tous les patients qui en ont besoin. Finir à 19h45, c'est tôt pour moi."

Mélanie Rica-Henry : "Au moins deux heures de paperasse par jour"

L'emploi du temps de Mélanie Rica-Henry, la semaine du 30 janvier 2023. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

37 ans, installée en libéral à Guidel (Morbihan). "D'habitude, je consulte au cabinet le samedi matin, une fois tous les deux mois. Mais, depuis décembre, je fais grève ce jour-là, pour réclamer une revalorisation du tarif de la consultation et de notre rôle de médecin généraliste.

Quand je rentre chez moi, à 20 heures, mes enfants sont déjà couchés. Car après mon dernier rendez-vous à 18h30, ma journée n'est pas terminée. Je consacre au moins deux heures par jour à la paperasse, pour trier le courrier, vérifier les résultats d'analyses des patients, les appeler si besoin. Sans compter la comptabilité du cabinet. C'est d'ailleurs pour cette raison que je ne consulte à domicile qu'une fois par semaine, le jeudi matin. Ces visites nécessitent plus de temps et de préparation et de paperasse : il faut imprimer en avance les ordonnances, vérifier les dossiers avant de partir…

Par rapport au travail salarié, l'avantage de la médecine libérale est que je peux choisir mon emploi du temps. Je pourrais commencer mes journées avant 9 heures, mais je tiens à emmener mes enfants à l'école. C'est aussi pour cela que je ne travaille pas le mercredi. Quand ils seront plus grands, je consulterai plus tôt et je travaillerai tous les jours. Pour l'instant, avec un mari médecin-urgentiste, c'est compliqué."

Guillaume Dewevre : "Mes journées sont millimétrées"

Emploi du temps de Guillaume Dewevre, la semaine du 30 janvier 2023. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

37 ans, installé en libéral à Méricourt (Pas-de-Calais). "Je travaille dans une zone d'intervention prioritaire, c'est-à-dire que l'agence régionale de santé (ARS) a identifié ce territoire comme étant particulièrement sous-doté en médecins généralistes. Mes journées sont donc chargées et millimétrées : comme il y a peu de praticiens en exercice, j'essaie de recevoir un maximum de patients, à raison de 15 minutes par consultation. J'en suis plus de 1 600 en tant que médecin traitant.

Mais certains rendez-vous requièrent plus de temps. Ce jeudi, j'ai bloqué 30 minutes pour un patient pour lequel on a découvert un diabète. J'ai pris du temps pour lui annoncer la nouvelle, lui expliquer toutes les complications que cela implique, les rendez-vous à prendre chez les spécialistes. J'ai aussi ajouté une grande part d'éducation thérapeutique [un programme conçu pour informer les patients sur les implications de leur maladie] et de rééquilibrage alimentaire.

Outre mon cabinet, j'ai plusieurs mandats électifs professionnels. Cela me prend beaucoup de temps, surtout en ce moment, avec les négociations en cours avec l'Assurance maladie. Habituellement, le mercredi après-midi est dévolu à ma fille, qui a un an. Mais il y a toujours une réunion qui vient s'ajouter."

Myriam Déroche : "Travailler plus me semble difficile"

L'emploi du temps de Myriam Déroche, la semaine du 30 janvier 2023. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

43 ans, salariée par la mairie de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). "J'ai un contrat de 31 heures par semaine pour travailler en médecine générale et en gynécologie dans deux centres de santé municipaux. Je dois notamment assurer une permanence un samedi matin par mois. En complément, je traite des dossiers chaque lundi matin pour la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Cela me fait un complément de revenus bienvenu, car j'ai deux enfants à charge.

Travailler plus ? Cela me semble difficile. C'est un métier éprouvant, où l'on affronte les maladies des gens, mais aussi leurs souffrances, leurs problèmes sociaux. Il m'est arrivé de ne plus en pouvoir. Je ne travaille pas le mercredi, ce qui me permet de décompresser. C'est une respiration professionnelle qui m'aidera à tenir dans la durée, si jamais il faut travailler jusqu'à 70 ans. 

Mes consultations s'étendent sur 20 minutes en moyenne. Si on rogne là-dessus pour prendre tout le monde, on ne traite plus correctement les gens, et on finit en burn out. Mais il y a des solutions à explorer : dans nos centres, par exemple, on essaye d'associer davantage les infirmières au suivi de nos patients. Cela nous permet d'améliorer leur prise en charge, et de nous libérer du temps de consultation. Grâce à cela, nous pouvons voir plus de personnes."

Geert Van der Heijden : "Quatre jours pour la France, et trois pour moi"

L'emploi du temps de Geert Van der Heijden, la semaine du 23 janvier 2023. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

60 ans, installé en libéral à l'Isle-sur-Serein (Yonne). "Après une longue carrière aux Pays-Bas, avec des semaines de 60 ou 70 heures, je me suis installé en France avec ma femme il y a six ans. Nous voulions retrouver un équilibre entre notre vie privée et le travail. J'ai fait le choix de n'exercer que quatre jours par semaine. Quatre jours pour la France, et trois jours pour moi, pour mon potager, ma ferme, mes animaux, mes trois chorales et les visites des amis et de la famille. Je m'accorde aussi six semaines de congés par an, mais jamais longtemps, pour ne pas surcharger les confrères de mon secteur.

Je consacre environ 15 minutes à chaque consultation, dont trois ou quatre minutes pour la paperasse : les arrêts de travail, les bons de transport, le certificat pour l'école... Si on était mieux payés, on pourrait recruter et obtenir de l'aide d'un secrétariat. Cela me permettrait peut-être de prendre un patient de plus par heure.

L'avantage à la campagne, c'est que les patients honorent leurs rendez-vous. Les relations sont plus proches qu'en ville, avec moins d'abus et d'agressivité. Par contre, les visites à domicile sont très chronophages. Je n'en fais souvent que deux ou trois par semaine, pour des urgences ou des patients qui ne peuvent vraiment pas venir. Au cabinet, je suis beaucoup plus efficace. Finalement, j'ai trouvé le rythme que je souhaitais, et notre territoire est bien couvert."

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