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Reportage
"Les Gabonais n'avaient plus besoin des Bongo" : deux semaines après le coup d'État au Gabon, la société civile s'organise
Le 4 septembre dernier, le général Brice Oligui Nguema, qui a mené le coup d'État du 30 août contre un Ali Bongo Ondimba, a prêté serment en tant que président d'une période de transition dont il n'a pas fixé la durée, et au terme de laquelle il promet de "rendre le pouvoir aux civils" par des élections. Samedi 9 septembre, le Premier ministre gabonais de transition, Raymond Ndong Sima, a annoncé la composition d'un gouvernement hétéroclite composé d'anciens opposants et d'ex-ministres du président déchu, de militaires, d'acteurs de la société civile, mais sans les principaux ténors de l'ex-opposition à l'élection présidentielle.
Dans la société civile gabonaise, un sentiment semble dominer : le soulagement et l’espoir d’un réel changement. Il suffit d’écouter Jean-Rémy Yama. Il a été le premier prisonnier politique libéré par le nouvel homme fort du Gabon. Ce syndicaliste et enseignant a passé 18 mois à la prison centrale de Libreville pour détournements de fonds publics, une accusation montée de toutes pièces pour museler cet inlassable critique du régime Bongo, qui n'a pas perdu pour autant son sens de l'humour. "À chaque élection on me met au frais", pouffe-t-il.
"C’était la goutte d’eau de trop et les militaires l’ont compris"
Jean-Rémy Yama avait déjà été arrêté lors du précédent scrutin présidentiel. "Je suis à la tête de la plus grande organisation syndicale du Gabon qui prône la justice, l’intégrité, explique-t-il. Et les tentatives de corruption ou autres n’ont jamais marché avec nous". Jean-Rémy Yama en est persuadé. Sans l’intervention des militaires le 26 août dernier, il y aurait eu un bain de sang, "parce que les Gabonais, on a tellement avalé de couleuvres ! On ne réagissait pas mais là, je pense que c’était la goutte d’eau de trop et les militaires l’ont compris."
Ce sentiment de libération, Justine-Judith Lekogo le partage. "Les Gabonais n’avaient plus besoin du nom Bongo, estime-t-elle. Mon arrière-grand-mère a été dirigée par les Bongo, ma grand-mère, ma mère, moi-même et mon fils ! Cinq générations !" Cette ancienne du FMI avait claqué la porte du gouvernement au bout de deux mois en 2019. Elle a été confrontée à la corruption quand elle a pris ses fonctions de ministre délégué auprès du ministre de l’Économie : Quand on vient vous apporter un dossier qui revient tout droit de la présidence et qu’il faut accorder, on va vous demander, par exemple, des abattements fiscaux. Je ne peux pas l’accepter parce qu’on est ministre pour servir son pays et non pour se servir, peu importent les avantages qu’on va vous proposer. Peut-être qu’on va vous offrir une maison, une voiture… Mais je refuse ! Ce qui se passe aujourd’hui, c’est le résultat. Vous voyez de l’argent dans les maisons des gens. C’est ça." Plus de sept milliards de francs CFA, soit dix millions d’euros, ont été saisis chez l’un des fils d’Ali Bongo, Nourredine Bongo, et chez plusieurs de ses proches. Tous ont été arrêtés.
Corruption mais aussi violation des droits de l'homme
Les détournements d’argent, le clientélisme, le copinage, tous les Gabonais ont connu et subi le système Bongo qui a perduré pendant un demi-siècle. Un système qui violait aussi les droits de l’homme. Exemple : les violences du scrutin de 2016, quand le régime a réprimé dans le sang des manifestations après l’annonce des résultats tronqués qui donnaient Ali Bongo vainqueur de justesse sur son adversaire Jean Ping. On n’a jamais su le nombre de morts exactement : plus d’une trentaine sûrement. Cela a été vécu comme un traumatisme au Gabon.
Jeanne-Clarisse Dilaba est la coordinatrice du réseau des défenseurs des Droits Humains en Afrique Centrale. "Il y a des familles qui ont perdu des êtres chers au temps du gouvernement Bongo. Ces familles attendent que justice soit faite. En 2016, on a eu les observateurs de l’Union européenne qui étaient ici. Ils ont bien vu ce qui s’était passé et l’ont dénoncé. Mais après, tout est passé dans le silence", dénonce-t-elle. Ce silence, beaucoup de Gabonais l’ont associé à de l’indifférence de la part de la communauté internationale. Une plainte a été déposée en 2017 devant la Cour pénale Internationale, qui est toujours en cours.
Pas un coup d'État mais "un coup de salut"
Les opposants ne parlent pas de coup d’État mais d’un coup de salut. Pourquoi ? Parce que pour eux, l’objectif, qui était de renverser le régime Bongo, a été atteint. Ils n’auraient jamais cru que cela se passe aussi rapidement et sans violence. Ils ont donc une certaine reconnaissance à l’égard du président de la transition. Geoffroy Foumboula Makossa est le porte-parole du Copil Citoyen, une plateforme de la société civile gabonaise. Ce quadragénaire dynamique a longtemps œuvré dans l’ombre en tant qu’opposant. " J’étais parti de façon suicidaire, raconte-t-il. Je l’avais dit à ma famille : 'Apprêtez-vous, il se peut que je meure. Je préfère mourir avec fierté parce que j’aurais défendu ce que j’estime être juste que de vivre caché'."
C’est lui qui a conduit la délégation quand le général Oligui Nguema a souhaité rencontrer les acteurs de la société civile. Geoffroy Foumboula Makossa était porteur d’un message :
"Tant que vous restez sur le chemin du retour à l’ordre constitutionnel, on est ensemble. Mais si vous vous en éloignez, on luttera contre vous comme on a lutté contre le système Bongo."
Geoffroy Foumboula Makossa, porte-parole du Copil Citoyenà franceinfo
"On ne compte pas accompagner aveuglément le comité de Transition et on n’hésitera à aucun moment à émettre nos réserves si nous nous rendons compte que le comité se détourne de son objectif principal", avertit-il. Pour la société civile gabonaise, la transition ne devra pas excéder deux ans, le temps de rédiger une nouvelle constitution, un nouveau code électoral, de bâtir de nouvelles institutions puis d’organiser de nouvelles élections, démocratiques celles-là.
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