Reportage
"Le prix du conteneur a doublé en un mois" : les tensions en mer Rouge bouleversent les chaînes logistiques des entreprises françaises

Depuis deux mois, les rebelles Houthis du Yémen multiplient les attaques contre des navires commerciaux en mer Rouge, obligeant certaines compagnies maritimes à contourner l'Afrique pour remonter vers l'Europe.
Article rédigé par Lauriane Delanoë
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Un porte-conteneur au terminal du port du Havre (Seine-Maritime), le 28 décembre 2023. (MARTIN ROCHE / MAXPPP)

Un bateau sur cinq n'emprunte plus le canal de Suez depuis un mois. C'est pourtant un axe stratégique puisque 12 à 15% du trafic maritime mondial transitent par là habituellement. En cause, les attaques des rebelles Houthis du Yémen contre des navires commerciaux en mer Rouge, depuis novembre, pour revendiquer leur solidarité avec les Palestiniens de Gaza. Les premières conséquences se font sentir sur l'économie française et cela se ressent particulièrement sur le port du Havre, premier port français pour le trafic de conteneurs. 

En effet, les porte-conteneurs déroutés par l'Afrique du Sud arrivent au port du Havre. Un changement d'itinéraire qui bouleverse l'activité d'habitude si bien réglée.

"Certains sont passés par le canal de Suez et d'autres ont fait le tour par le cap de Bonne-Espérance, pour lequel il y a à peu près dix à douze jours de trajet en plus, si bien que les services qui sont passés par le cap de Bonne-Espérance viennent se télescoper avec ceux qui sont passés par le canal de Suez", explique François Le Breton, le responsable des opérations de la Générale de manutention portuaire (GMP) sur le terminal de France. Ce terminal est celui où accostent les plus gros bateaux venus d'Asie. "C’est-à-dire que sur huit jours, on a quatre navires Asie, Europe, à l'import, alors que d'ordinaire on en a deux. On parle d'à peu près 4000 conteneurs par navire. Ce sont les escales qui sont les plus volumineuses", ajoute-t-il.

D'autres navires, ceux qui viennent charger des conteneurs, arrivent également en retard. Pour faire face, la GMP mobilise en ce moment près de 450 dockers supplémentaires auprès des bateaux. Ils ont plus de travail, notamment pour répartir toutes ces grosses boîtes. Mais on est loin des perturbations lors de la reprise après le Covid-19, tempère la directrice commerciale de la GMP, Nathalie Wagner. "Ça ne se fait que sur une partie des routes, précise-t-elle. Le trafic vers les Etats-Unis, par exemple, n'est absolument pas perturbé. Et puis on n'est pas du tout dans la même situation que pendant le Covid-19 où, avec la relance de la consommation, il y avait des flux énormes. Là, nous avons débuté l'année dans une ambiance de morosité économique donc les flux sont beaucoup moins importants, c'est déjà plus facile à absorber". Mais il faut tout de même que toute la chaîne logistique suive. Ces retards sont aussi un défi pour les transporteurs routiers, les camions qui récupèrent ou déposent les conteneurs sur le port. 

Des conteneurs à 5 000 dollars au lieu de 2 500 

En bout de chaîne, ces perturbations ont des conséquences sur les entreprises qui attendent ces marchandises. Il y a par exemple La Brosse et Dupont, qui fabrique en Chine les balais, pinces à épiler et autres brosses à cheveux vendus dans nos grandes surfaces. Son PDG, François Carayol, maintient sa production car "les clients ne vont pas acheter moins de brosses parce qu'il y a des gens qui tirent des missiles sur les bateaux en mer Rouge", dit-il.

Il fait pourtant face à une augmentation des coûts. "Les conteneurs ont augmenté depuis un mois de façon très significative, puisqu'on était à 2 500 dollars le conteneur selon le tarif Shanghaï-Rotterdam qui est le tarif de base. On est à plus de 5 000 dollars aujourd'hui. Il a donc plus que doublé en l'espace d'un mois", détaille-t-il.

"Mais l'impact sur la trésorerie est plus important du fait du délai que du tarif car je paye les marchandises lorsqu'elles sont chargées sur le bateau, détaille-t-il. Depuis qu'il y a des attaques par les rebelles yéménites, on commande maintenant deux ou trois semaines plus tôt que précédemment, de façon à absorber le temps de transport. Ça signifie que je vais financer et porter mes stocks deux à trois semaines de plus. Et ça, sur la totalité des achats en provenance de Chine, c'est très significatif".

Tesla et Stellantis impactés

François Carayol devra donc rogner sur ses marges. Il ne peut pas augmenter ses prix de vente car ses négociations commerciales viennent de se terminer avec la grande distribution. Par ailleurs, il n'exclut pas des ruptures de stock sur quelques produits dans les prochaines semaines. C'est ce qui arrive déjà à certains industriels en Europe en manque de pièces détachées. Le constructeur automobile Tesla suspend ainsi sa production en Allemagne pendant deux semaines pour éviter une telle fermeture. Le géant Stellantis, qui regroupe PSA, Fiat et Chrysler, fait venir des pièces par avion comme les pare-soleil des voitures Peugeot, assemblés à Sochaux. 

Les flux de marchandises sont bien moindres dans ce sens, de l'Europe à l'Asie, mais les conséquences sont là. Le PDG des ateliers de Tonton Pierrot les ressent. En effet, cette confiserie hollandaise qui exporte des bonbons vers la Chine, le Japon, la Corée du Sud et l'Australie voit le volume des commandes baisser de 20% sur ces marchés. Rémi Groussard doit alors compenser. "Nos produits sont faits à la main, précise-t-il. Ce ne sont pas des machines sur lesquelles on appuie sur on ou sur off. On n'a pas de stock non plus. Par conséquent, lorsqu'on baisse de 20% sur un marché, on est obligé d'augmenter de 20% sur un autre marché. Aujourd'hui, pour combler cette légère perte, même si le marché asiatique n'est pas notre marché prédominant, il faut augmenter les volumes en Europe, en Amérique du Nord. Donc on multiplie les salons pour prospecter les nouveaux clients et on va chercher du volume auprès de clients historiques existants. On a un objectif de croissance et on l'atteindra par tous les moyens", conclut-il.

Ce patron espère que les perturbations en mer Rouge "ne dureront pas trop longtemps". Mais la géopolitique, "ce n'est pas de notre ressort", soulignent les chefs d'entreprise français. 

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