Reportage
"Je ne sais même plus vers où aller" : ces artisans observent et jugent les propositions des candidats aux législatives

Que pensent les artisans de la politique ? À quelques jours du premier tour des élections législatives, franceinfo est allé à la rencontre de ces travailleurs pour tenter de mieux comprendre leur quotidien et les enjeux qui les touchent.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Un isoloir dans un bureau de vote (illustration). (MARIE JULLIARD / HANS LUCAS)

À quelques jours des élections législatives qui se tiendront les 30 juin et 7 juillet prochains, franceinfo prend le temps d’écouter les préoccupations des Français, leurs espoirs comme leurs colères. Nouvel épisode ce mardi 25 juin dans la banlieue de Bordeaux, à la rencontre de petits artisans.

Sur le parking d'un fournisseur de matériaux, les artisans viennent chercher "la came", comme ils disent. Et ces derniers mois, celle-ci coûte cher. "Les fabricants ont augmenté, le bois, l'alu, les tuiles, tout a augmenté, on subit ça et on le répercute au client final de toute façon", explique Romain, couvreur zingueur, à son compte, spécialisé dans la pose de Velux.

"Pour vous donner une idée, il y a 3 ou 4 ans, un volant roulant solaire sur un Velux coûtait entre 400 et 500 euros. Maintenant, on est à plus de 800 euros. Le jour où le client ne suivra plus, je ne sais pas... Je m'achèterai peut-être un camion de frites et je vendrai des saucisses au stade !" Pas sûr que les saucisses lui rapporteraient autant que ce qu'il gagne aujourd'hui, car Romain admet qu'il se verse un salaire confortable. Mais cela a un prix.

"Je suis debout à 5 heures, je suis chez moi à 20 heures... Même la nuit, souvent je suis réveillée parce que je pense à un chantier. Quand on est artisan à son compte on ne débranche jamais. Ca m'a coûté un divorce."

Romain, artisan couvreur zingueur

à franceinfo

Sa vie personnelle en a pris un coup, mais sa santé aussi. À seulement 43 ans, Romain dit que "ça couine un peu le matin" quand il se lève : "Je ne me vois pas poser des fenêtres de 90 kilos à 65 ans. Ils ont rallongé la retraite. Moi normalement à 62 ans, je pars. Mais bon, je ne sais plus trop parce qu'on rallonge, on raccourcit...", explique-t-il.

La dureté de ces métiers fait que beaucoup d'artisans peinent à recruter, mais également à trouver des repreneurs en fin de carrière. Il y a 25 ans, le père de Romain lui a transmis l'entreprise familiale. Mais dans 25 ans, Romain craint de devoir fermer la boîte en partant à la retraite.

Le difficile choix politique

Alors, parmi les programmes des différents candidats aux législatives, Romain trouve-t-il des réponses à ses questions ? Des réponses, il en cherche, suit la campagne d'un œil et même quelques idées pour redynamiser le secteur. "Il faudrait qu'au niveau charges sociales, ce soit un petit peu plus souple pour que l'on puisse avoir des salaires plus attractifs et embaucher", juge-t-il.

Mais quand on lui parle de la revalorisation de 10% des salaires proposée par le RN, la réponse est cinglante : "Ok. Donc on va vider la trésorerie, et après on ira manger des cacahuètes". Et il n'est pas davantage séduit par la hausse du Smic à 1600 euros avancée par le Nouveau Front populaire. "Pourquoi pas 3000 euros aussi ? Comme ça les ouvriers qualifiés on les met à combien ? À 5000 euros ?", ironise-t-il. "Ils se rendent compte pour un patron de ce que ça lui coûte le salaire d'un salarié ? Si je lui donne 1500 euros, ça me coûte 3000 euros à moi. C'est la mort des entreprises", tranche-t-il.

"La politique, aujourd'hui, je n'y crois plus trop, parce qu'on a fait 20 ans de gauche, après on a fait la droite. Cela fait 40 ans que l'on parle d'immigration, des salaires, des retraites... Aujourd'hui, on commence vraiment à payer la note."

Romain, artisan couvreur zingueur

à franceinfo

Un discours qui fait écho à celui de Jérémy, 36 ans, charpentier à son compte également rencontré sur ce parking d'un fournisseur. "Moi, j'ai toujours entendu que la droite rattrapait ce qu'avait fait la gauche, que la gauche était obligée de se battre parce que la droite nous avait foutus dans la merde. Donc je ne sais même plus vers où aller...", confie-t-il.

Jérémy rencontre les mêmes difficultés que Romain : problèmes de recrutement, prix des matières premières, mais aussi lourdeurs administratives. "Les papiers, on en a énormément à faire, des choses qui pour moi ne servent pas à grand-chose, ça me prend jusqu'à 35% de mon temps de travail !", souligne-t-il, réclamant des simplifications. Il faudrait aussi, estime-t-il, changer l'image des métiers du bâtiment avec, par exemple, une campagne de communication à l'échelle nationale. "Avant, on appelait ça 'bâtisseur'. Je trouve que ce mot a un impact. On a oublié tout ça, ce que c'était que de bâtir, de créer".

Bâtir, construire, créer... C'est ce que Jérémy aime dans son métier, mais aussi ce qu'il souhaiterait voir plus souvent en politique.

"J'ai l'impression que chaque parti est là pour détruire l'autre. Personne n'est là pour faire du mieux. Donc là, pareil, il faudrait revenir à un esprit d'équipe, une cohésion. Mais ça, aujourd'hui, on en est très loin."

Jérémy, artisan

à franceinfo

Jérémy se rendra aux urnes dimanche, mais presque à reculons. "Moi, dit-il, je me sens plus citoyen quand j'aide une grand-mère dans la rue que quand je vais voter".

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