Reportage
Face à la dérive autoritaire de Modi, l'Inde est-elle encore la plus grande démocratie du monde ?

Les Indiens sont appelés à voter à partir de vendredi pour élire leur assemblée. Ces résultats pourront, ou pas, reconduire l'actuel Premier ministre, Narendra Modi, pour un troisième mandat. Mais ses pratiques inquiètent certains défenseurs des droits humains.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Des supporters du parti du Premier ministre, Narendra Modi, lors d'un meeting à Puducherry, en Inde, avant les élections législatives, le 19 avril 2024. (RAGUL KRISHNAN / MAXPPP)

C'est le plus grand exercice démocratique du monde. À partir de vendredi 19 avril, et pendant six semaines, plus de 970 millions de votants sont appelés aux urnes en Inde, pour les élections législatives. Un scrutin qui pourrait reconduire Narendra Modi pour un troisième mandat, lui, qui, depuis son arrivée au pouvoir il y a dix ans, a imprimé sa marque sur ce pays d'1,4 milliards d'habitants.

Sous la forme, tout d'abord, d'une idéologie instrumentalisée à des fins politiques : l'hindouité. Elle vise à asseoir la domination des Hindous au détriment des minorités et notamment des musulmans, qui représentent 200 millions de personnes. La campagne de Narendra Modi a d'ailleurs commencé par l'inauguration du temple d'Ayodhya, dans l'état de l’Uttar Pradesh, en lieu et place d'une mosquée qui avait été détruite dans les années 90 par des extrémistes Hindous. Le Premier ministre s’appuie également sur un récit national : une Inde qui se développe à vitesse grand V, tout en exaltant les racines millénaires de l’hindouisme, religion pratiquée par 80% de la population.  

Censure d'associations, de médias...

Tout cela inquiète les plus éminents intellectuels indiens. "Pour sauver la démocratie, nous devons nous demander ce que nous devons faire pour renforcer nos institutions afin de ne pas devenir si vulnérables aux pouvoirs des politiques de manière répétée", s'inquiète Yamini Aiyar.

Des intellectuels indiens étaient réunis le 13 avril 2024 à l’occasion de la présentation d’un livre consacré à la Défense de la République Indienne et aux valeurs démocratiques. (FABIEN GOSSET / RADIOFRANCE)

Elle dirigeait jusqu’en février dernier l'un des centres de recherches les plus en vue de la capitale indienne, le CPR (Center for Policy Research). Ce dernier a dû licencier la quasi-totalité de ses 200 employés après que le ministère de l’Intérieur indien a décidé de ne pas renouveler son accréditation qui lui permettait de recevoir des fonds venant de l’étranger.

De nombreuses ONG internationales comme Oxfam, Greenpeace ou Care ont subi le même sort parce que leurs rapports ne plaisaient pas au pouvoir. Les médias, de leur côté, sont de plus en plus soumis à la censure et les journalistes trop critiques sont qualifiés d’antinationaux. Siddharth Varadarajan est le fondateur du média indépendant The Wire. "Je pense qu'il y a un sentiment de paranoïa et d'insécurité de la part du gouvernement, même s'il contrôle une grande partie des médias."

"Le genre de menace que Narendra Modi fait peser sur la démocratie indienne et sur la liberté de la presse est quelque chose de tout à fait unique, quelque chose que nous n'avions pas vu depuis des décennies".

Siddharth Varadarajan, fondateur du média indépendant The Wire

à franceinfo

Inédit, comme l'exercice solitaire du pouvoir de Narendra Modi. "Ce n'est pas quelqu'un qui a le sens du dialogue, il n'a pas fait une conférence de presse en 10 ans, ce qui est rare pour quelqu'un qui dirige une démocratie de cette taille. C'est le pouvoir personnel", assure Balveer Arora, ancien professeur de sciences politiques à l’Université Jawaharlal Nehru de Dehli.

Siddharth Varadarajan est le fondateur du média indépendant indien, The Wire. (FABIEN GOSSET / RADIOFRANCE)

Les opposants de Narendra Modi ont aussi une autre crainte : qu'il modifie la constitution indienne pour gommer le terme de "séculaire", l'équivalent de notre laïcité, s'il venait à remporter un troisième mandat. À l’image d’Harsh Mander, 68 ans, infatigable militant indien des droits humains.

Son domicile a été perquisitionné en février dernier par des agents du CBI, l'équivalent du FBI américain. Il a notamment mis en lumière les pogroms anti-musulmans de 2002 dans l'état du Gujarat, dirigé alors par Narandra Modi. "Je suis accusé d’insurrection, d’incitation à la haine, de blanchiment d'argent, d’irrégularités financières..."

"En Inde, les hindous croient en une seconde vie. Je pourrais donc passer toute cette vie et la suivante en prison si j'étais coupable de tous ces crimes."

Harsh Mander, militant indien des droits humains

à franceinfo

Ce disciple de Gandhi dénonce un climat de peur instauré par le pouvoir. "Il y a une tentative de faire taire la dissidence, comme le font les dirigeants autoritaires dans le monde entier. Sauf qu'ici, c’est associé à une idéologie visant à transformer l'Inde en une Inde très différente de celle que nous avons choisie dans le cadre de la lutte pour la liberté du Mahatma Gandhi, qui est née de l'égalité des droits."

Harsh Mander, 68 ans, est un infatigable militant indien des droits humains. Il est aujourd'hui au coeur d'une enquête après des révélations embarrassantes sur Narendra Modi. (FABIEN GOSSET / RADIOFRANCE)

La chasse aux sorcières fonctionne : Harsh Mander rencontre de plus en plus de difficultés à publier des articles. Mais il se refuse à baisser les bras. "Je ne veux pas d'un pays marqué par l'inégalité, la peur et la haine. Je veux un pays égal, juste et bienveillant. C'est vraiment une bataille pour laquelle il faut même être prêt à aller en prison et à donner sa vie." Harsh Mander travaille actuellement à l'écriture d'un livre consacré à la montée du nazisme en Allemagne.

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