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Parlement européen : le Covid-19 va-t-il tuer Strasbourg ?

En raison de l'épidémie de Covid-19, les députés européens ne sont pas retournés au siège du Parlement européen depuis le mois de février et ce, alors que les conditions sanitaires sont quasiment identiques voire meilleures qu'à Bruxelles. Une nouvelle session a débuté lundi 19 octobre, mais se tiendra en visio-conférence.

Article rédigé par franceinfo, Valentin Dunate - Angélique Bouin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le Parlement européen à Strasbourg, le 6 octobre 2020. (SEBASTIEN BOZON / AFP)

Strasbourg est-elle encore la capitale de l'Europe ? Aucune session ne s'est tenue à Strasbourg depuis le début de l'épidémie de Covid-19 en raison de la situation sanitaire dans le Bas-Rhin. Depuis sept mois, les eurodéputés se réunissaient jusqu'alors à Bruxelles (Belgique), dans l'hémicycle du Parlement européen, alors que les conditions sanitaires en Alsace sont quasiment identiques, voire meilleures que dans la capitale belge. La nouvelle session qui a débuté dans la capitale alsacienne se tient en visio-conférence.

Des pertes économiques pour Strasbourg

En Alsace, cette décision ne plaît pas à tout le monde. Au restaurant "P'tit Max", place de l'Homme de fer à Strasbourg, Hassan Ben Othmane présente la spécialité de la maison : le carpaccio. "Plein de parlementaires viennent juste pour ça !", s'exclaffe le patron. "Le midi, ils restent là-bas, mais le soir, on faisait au moins 60 couverts, que des parlementaires !"

Pour le secteur de l'hôtellerie-restauration, le manque à gagner est considérable : au moins 2 500 personnes se déplacent à chaque session parlementaire. Dans une année normale, cela représente 15% du chiffre d'affaires des hôteliers. "J'ai 81 chambres, et en règle générale, pendant les sessions parlementaires, j'ai entre 40 et 45 chambres qui sont réservées par des gens qui viennent pour le Parlement européen", affirme Pierre Siegel, président des hôteliers-restaurateurs de Strasbourg, et dirigeant d'un hôtel 4 étoiles. "Ce qu'on a vraiment du mal à comprendre, c'est qu'aujourd'hui on entend beaucoup la voix des parlementaires européens qui sont contre Strasbourg."

Les arguments fréquemment avancés me font penser que ces gens-là privilégient leur confort personnel aux traités internationaux, et c'est ça qui est très choquant.

Pierre Siegel, président des hôteliers-restaurateurs de Strasbourg

à franceinfo

En effet, nombre d'eurodéputés et surtout d'attachés parlementaires habitent à Bruxelles. Leurs enfants y vont à l'école et à choisir, ils préféreraient rester en Belgique. Sauf que pour de nombreux élus, et notamment la maire de Strasbourg, il y a là un danger politique. "Il faut distinguer les deux débats. Il y a la question de la crise sanitaire, et moi je peux entendre un certain nombre d'arguments de députés européens qui clairement font face à des situations difficiles, et le débat qui existe et qui est réel autour du siège du Parlement européen", assure Jeanne Barseghian. Un débat que déplore la maire de Strasbourg. "Je dois quand même rappeler que le siège du Parlement européen, c'est Strasbourg ! Il est même étonnant de parler de retour des sessions parlementaires à Strasbourg alors que les sessions plénières doivent avoir lieu ici, c'est bien ce qui est prévu", rétorque-t-elle.

Jeanne Barseghian trouve la situation inquiétante "pour la démocratie européenne parce qu'on oublie pourquoi Strasbourg a été désignée siège du Parlement européen. C'est la séparation des pouvoirs ! Strasbourg est le symbole de cette démocratie européenne, c'est la voix des citoyens européens." La nouvelle maire de Strasbourg demande donc à Emmanuel Macron et Angela Merkel de marteler ce message, et pourquoi pas de se rendre sur place dans la capitale alsacienne pour marquer les esprits.

De plus en plus d'eurodéputés vivent... à Bruxelles

La maire de Strasbourg rejoint ce que disait le président Macron fin septembre : "Si on accepte que le Parlement européen ne se réunisse qu'à Bruxelles, on est foutu, car dans dix ans tout sera à Bruxelles. Et les gens ne se parleront plus qu'entre eux à Bruxelles. Or l'Europe ce n'est pas cette idée-là." Et c’est assez vrai : si on a disséminé les institutions, l'exécutif à Bruxelles, la Cour de justice à Luxembourg, la BCE a Frankfort, c’est pour que ceux qui construisent cette Europe et qui écrivent ses règles soient issus d’un panel le plus large possible.

Ce sont les élus qui devraient apporter le plus de diversité, en vivant dans leur pays, mais en venant à Bruxelles ou à Strasbourg, selon la nature de leur travail parlementaire. Or ils sont de plus en plus nombreux à vivre ici à Bruxelles, certains pour des raisons financières, mais aussi notamment parce qu’il y a plus de jeunes, plus de femmes, que le travail parlementaire est plus important qu’avant, et que les allers-retours sont compliqués en famille. En vivant à Bruxelles, les élus sont donc influencés par le microcosme bruxellois et sa technocratie disent les pro-Strasbourg, ce qui n’est pas bon pour la démocratie.

Des déplacements coûteux, dénoncés par les anti-Strasbourg

Siéger 42 jours par an à Strasbourg, cela change-t-il vraiment les choses ? En réalité par vraiment. Il faudrait pour cela que les députés européens sortent un peu plus du bâtiment qui abrite le siège, que cette transhumance s’accompagne par exemple d'échanges plus fréquent avec le Conseil de l’Europe ou Eurocorps qui siègent à Strasbourg, mais cela reste rare. En revanche, ce côté "colonie de vacances" favorise d’autres type échanges souvent plus informels et plus riches qu’à Bruxelles, avec les commissaires qui y sont plus disponibles, ou entre attachés parlementaires des différents groupes politiques, confiait l'un d'eux à franceinfo. La presse couvre aussi plus intensément les sessions quand elles sont à Strasbourg qu’à Bruxelles où on est vite happé par le travail de la Commission ou du Conseil. Il y a donc du pour et du contre.

Mais le déplacement des 705 députés entre Bruxelles et Strasbourg a un coût : près de 110 millions d'euros par an, sur les deux milliards d'euros annuels que coûte le Parlement. C’est le principal argument des anti-Strasbourg. Il y a aussi un coût écologique mais finalement pas aussi important qu’on pourrait l’imaginer : sur la totalité des émissions de gaz à effet de serre générée par le Parlement européen pour le transport des personnes, seuls 15% sont imputables aux sessions qui s’y tiennent.

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