Oscars 2024 : dans les coulisses de la "machine énorme" mise en place par l'équipe d'"Anatomie d'une chute" pour rafler des trophées

Dimanche, la dernière Palme d'or cannoise, réalisée par Justine Triet, sera l'un des films attendus lors de la 96e cérémonie des Oscars, avec pas moins de cinq nominations, dont meilleur film et meilleure réalisation.
Article rédigé par Matteu Maestracci
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Justine Triet au festival de Cannes, le 27 mai 2023. (MUSTAFA YALCIN / ANADOLU AGENCY VIA AFP)

À trois jours de la 96e cérémonie des prestigieux Oscars, à Los Angeles, le film français Anatomie d'une chute de Justine Triet est nommé dans cinq catégories, dont meilleur film. Franceinfo vous raconte les coulisses de la campagne menée par l'équipe du film pour séduire les près de 10 000 votants.

Comme personnage central de cette incroyable aventure vécue par le film depuis sa Palme d'or à Cannes en mai dernier - à nouveau primé par six Césars il y a dix jours, parmi de nombreuses autres distinctions - on retrouve la coproductrice d'Anatomie d'une chute. À quelques heures de s'envoler pour Los Angeles, Marie-Ange Luciani est partagée entre excitation, fatigue et petite nostalgie que tout cela se termine bientôt : "Il y a eu quand même beaucoup de péripéties. Et aussi, c'est vrai, un peu de nostalgie, j'avoue, parce que je pense qu'on va maintenant terminer cette longue route de récompenses et d'honneurs qu'a été ce film, et on va évidemment devoir penser à autre chose."

"On est heureux parce qu'on est allés au bout de ce qu'on pouvait faire avec ce film, heureux de commencer à travailler sur d'autres choses, mais aussi un peu mélancoliques à l'idée de devoir bientôt se séparer."

Marie-Ange Luciani, co-productrice

à franceinfo

Aux Oscars, Anatomie d'une chute est donc nommé dans les catégories meilleur film, meilleure réalisation, meilleur scénario original, meilleure actrice pour Sandra Huller, et meilleur montage. Le 7 janvier, lors des Golden Globes, sorte de lever de rideau pour les Oscars, Justine Triet est repartie avec deux récompenses.

Le succès du film ne suffit pas

On pourrait se dire qu'un film avec toutes ces qualités, qui gagne autant de prix, qui réunit à la fois la presse et le public dans une rare unanimité, et qui fait plus de trois millions d'entrées dans le monde, pourrait se suffire à lui-même. Mais évidemment, ce serait trop simple. 10 000 professionnels votent pour les Oscars : acteurs, réalisateurs, mais aussi chef opérateurs, attachés de presse, etc., et pas seulement aux États-Unis. Il faut donc s'assurer qu'ils ont vu et aimé le film.

Alya Belgaroui, directrice marketing chez MK2, société qui vend le film à l'international et a mis en relation les producteurs français avec Neon, distributeur du film aux États-Unis, a vécu cette campagne américaine très intense de l'intérieur : "Le grand public peut penser qu'il y a là-dedans presque exclusivement le côté glamour, quand on voit ces photos sur le tapis rouge qui font le tour des réseaux sociaux, avec des stars pomponnées, prises en charge. Mais derrière ça, il y a toute une logistique qui est quand même très lourde : organiser des projections en permanence à travers le monde, réserver des places et inviter les gens dans tous les festivals qui programment le film. C'est une machine énorme, que je comparerais à une campagne présidentielle."

Marie-Ange Luciani, co-productrice du film "Anatomie d'une chute" de Justine Triet, dans ses bureaux à Paris le lundi 4 mars 2024 (MATTEU MAESTRACCI/ FRANCE INFO/ RADIO FRANCE)

Montrer le film, être vu, serrer des mains, plaire, s'assurer aussi que les images - comme celles du chien Messi qui joue dans le film et était la vedette au gala des nommés - feront le tour des réseaux sociaux. La promotion n'est d'ailleurs pas forcément la partie du métier que préfèrent ceux qui font les films, qu'il s'agisse des réalisateurs, producteurs, ou même comédiens, mais Marie-Ange Luciani nous confirme que c'est essentiel : "On ne peut pas passer à côté de ça. Les Américains, eux, d'ailleurs, savent très bien le faire. Ils ont un sens de la communication, de la rencontre, comment la rendre un peu insolite, immédiate, extraordinaire, 'amazing', c'est le mot ! Mais ce qui est appréciable, c'est qu'ils travaillent beaucoup et voient beaucoup les films des autres. Quand on se rencontre et qu'on se parle, on réalise que tout le monde a vu les films."

"Pour Justine Triet, pour emmener le film où elle veut l'emmener, c'est indispensable de faire tout ça : occuper le terrain, se déplacer, rencontrer les gens et recevoir les récompenses en mains propres."

Marie-Ange Luciani, co-productrice

à franceinfo

La cinéaste s'est déjà rendue une dizaine de fois aux États-Unis ces derniers mois, pour y recevoir des prix ou pour faire campagne pour ces 96e Oscars. Elle a rencontré un grand nombre de personnalités comme Steven Spielberg ou Martin Scorsese, et elle en a aussi profité pour prendre des cours pour améliorer son anglais.

"Draguer les votants"

Une énorme machine logistique donc, et une campagne qui ressemble à celle d'une élection présidentielle. Ce sont aussi les termes utilisés par la comédienne Bérénice Béjo, qui a vécu le triomphe de The Artist en 2012 : cinq Oscars dont meilleur film, Michel Hazanavicius meilleur réalisateur et meilleur acteur pour Jean Dujardin. Elle se souvient qu'elle avait dû, selon ses propres mots, "draguer les votants" : "On est dans une industrie, donc on joue le jeu, on travaille, on fait les soirées, les dîners. Moi, je me souviens que j'avais une attachée de presse à mes côtés qui me pinçait le coude pour me dire si telle personne votait pour les Oscars ou pas. Et quand elle votait, je draguais. Dans le sens où je disais 'mon film est génial, je suis hyper sympa, votez pour moi'. Comme une élection quoi, présidentielle ou ce que vous voulez."

Enfin tous ces déplacements, ces voyages, ces événements un peu mondains ont évidemment un coût important, mais l'équipe française du film et son distributeur américain voient cela comme un "investissement" pour faire d'Anatomie d'une Chute un classique. Et pour les Oscars, il ne reste plus maintenant qu'à croiser les doigts.

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