"Mes parents et grands-parents n'auraient jamais imaginé cela" : les défis de Michelle O'Neill, Première ministre catholique et républicaine de l'Irlande du Nord

Michelle O'Neill est membre du Sinn Fein, ce parti nationaliste anciennement associé à l'IRA, l’armée républicaine irlandaise.
Article rédigé par Richard Place
Radio France
Publié
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Michelle O'Neill, première ministre de l'Irlande du nord, le 8 février 2024. (BEN STANSALL / AFP)

L'élection de Michelle O'Neill était inimaginable il y a encore quelques années. Tout d'abord, retrouver un membre du Sinn Fein à ce poste de Premier ministre est surprenant, car le parti ne veut pas d'une Irlande du Nord intégrée au Royaume-Uni. C’est même le cœur de son combat depuis toujours. Rappelons-le, ce mouvement était la vitrine politique de l’armée républicaine irlandaise, l’IRA, qui pendant une trentaine d’années s’est battue contre les soldats britanniques. Un conflit qui a fait plus de 3 500 morts jusqu’à l’accord de paix signé en 1998.

Le Sinn Fein est un mouvement catholique et républicain, à l’opposé de l’Angleterre protestante et monarchiste. Il veut quitter le Royaume-Uni pour intégrer la République d’Irlande et ainsi redevenir une seule et même Irlande. Le parti a gagné les dernières élections parlementaires en 2022 et c'est ce qui a conduit Michelle O’Neill au poste de première ministre.

En plus de ses convictions politiques, son parcours fait d’elle une Première ministre tout à fait atypique. Michelle O’Neill a toujours été entourée par des membres de l’IRA. À commencer par son père, qui appartenait à une brigade connue pour ses assassinats de soldats britanniques et qui a fait de la prison à l’époque. Membre de cette même brigade, l’un de ses cousins a été tué lors d’affrontements avec des militaires, quand Michelle O’Neill avait 14 ans. C’est dans ce contexte qu’elle a grandi et la retrouver aujourd’hui à ce poste semble irréel.

"Mes parents et grands-parents n'auraient jamais imaginé qu'un jour comme celui-ci arriverait mais maintenant, c'est fait, déclare-t-elle. Un difficile travail commence donc pour essayer de faire en sorte que la cogestion du pays fonctionne. Il faut régler les problèmes quotidiens, tout en plaidant pour un changement constitutionnel. C’est notre aventure pour les dix prochaines années".

Un profil très atypique

Ce changement constitutionnel, c’est une île unie. Elle veut une seule et même Irlande, quitter le Royaume-Uni et revenir dans l’Union Européenne. D’ailleurs, comme les autres cadres de son parti, elle ne dit pas Irlande du Nord (Northern Ireland) mais le Nord de l’Irlande (North of Ireland).

Une républicaine, dont la famille appartenait à l’IRA, proche de plusieurs anciens dirigeants de cette armée officieuse, c’est déjà un sacré symbole. Mais la vie personnelle de Michelle O’Neill ne la prédestinait pas non plus à cette fonction. Mère à l’âge de 16 ans, elle raconte combien l’école était devenue un environnement toxique pour cette adolescente enceinte. On la traitait "comme si elle avait la peste", dit-elle aujourd’hui. Son divorce, alors qu’elle milite dans un parti catholique, n’est pas anodin non plus. 

Cela fait d’elle une première ministre encore plus inattendue selon Mary Lou McDonald, la présidente du Sinn Fein. "L’État dans le Nord de l’Irlande a été fondé, pensé pour assurer une majorité unioniste permanente. Pour être certain que quelqu’un comme Michelle O’Neill ne devienne jamais Première ministre, dit-elle. Et c’est arrivé."

"C’est le symbole d’un changement plus profond, des immenses progrès que nous avons faits. Alors oui, nous traversons des moments historiques. Je crois qu’au cours de cette décennie, nous aurons des référendums au Nord et au Sud. Il faut s’y préparer maintenant."

Mary Lou McDonald

à franceinfo

 

L'objectif lointain d'un référendum

On le comprend bien, le Sinn Fein ne renie pas ses engagements en arrivant au pouvoir mais ce référendum n'est pas forcément envisageable dans l’immédiat. D’ailleurs, le Sinn Fein n’a pas fait campagne sur ce thème. Il a gagné les élections en parlant emploi, pouvoir d’achat, logement, pendant que son rival historique s’enlisait dans les querelles traditionnelles et dans un Brexit mal négocié par Londres, son allié.

De plus, les sondages montrent bien qu’un référendum pour quitter le Royaume-Uni serait sans doute perdu par le Sinn Fein s'il était proposé aujourd'hui. Mais Michelle O’Neill et ses amis espèrent convaincre en améliorant d'abord le quotidien des Nord-Irlandais. Ensuite, grâce à la démographie : les catholiques sont de plus en plus nombreux et sont même devenus majoritaires dans le pays.

Enfin, parce qu’il en est toujours question ici : le Brexit. L’Irlande du Nord avait voté contre mais s’est retrouvée embarquée hors de l’Europe avec tout le Royaume-Uni. Michelle O’Neill voit là un levier supplémentaire. "L’Union européenne a pris l’engagement, en cas de victoire de l’unité dans un référendum, que le Nord de l’Irlande rejoindrait le reste de l’île en même temps que le projet européen, répond-elle. Ça devient la grande question : le peuple veut-il de cette Union ou du Royaume-Uni ? Ce sera un élément important dans les décisions des gens".

Une Irlande unie et performante, cela marche en rugby dans le Tournoi des six nations. Au-delà, c’est encore lointain. En effet, Michelle O’Neill n'est pas toute seule. Elle est Première ministre mais aux côtés d'une vice-première ministre, avec exactement les mêmes pouvoirs qu’elle. Cette dernière appartient au principal parti unioniste, c’est-à-dire pro-Royaume-Uni. La constitution nord-irlandaise est ainsi faite, cette gouvernance ne laisse donc pas les mains libres. En outre, pour qu’un référendum ait lieu, il faut que Londres le décide. Aujourd’hui, ni les conservateurs au pouvoir, ni les travaillistes qui pourraient y accéder prochainement, ne veulent en entendre parler.

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