Cet article date de plus de deux ans.

Irlande du Nord : quatre questions sur la victoire historique du parti nationaliste Sinn Fein aux élections parlementaires

Cette victoire permet à l'ex-vitrine politique du groupe paramilitaire Armée républicaine irlandaise (IRA) de nommer une Première ministre locale, pour la première fois en cent ans d'histoire.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La vice-présidente du parti Sinn Fein, Michelle O'Neill, lors d'un discours à Magherafelt, en Irlande du Nord (Royaume-Uni), le 7 mai 2022. (PAUL FAITH / AFP)

Les sondages avaient vu juste. Le parti nationaliste Sinn Fein, partisan d'une réunification de l'Irlande, a remporté une victoire historique, samedi 7 mai en Irlande du Nord, lors des élections législatives.

Au terme d'un long dépouillement, le Sinn Fein a obtenu 27 sièges à l'Assemblée locale de Stormont, où étaient renouvelés les 90 élus lors d'un scrutin organisé jeudi, contre 25 pour son rival unioniste DUP, fidèle à la couronne britannique. L'autre grand vainqueur est le parti centriste Alliance qui progresse fortement, avec 17 sièges.

Dans quel contexte intervient ce tournant historique ? Que va-t-il se passer maintenant ? Ce succès électoral ouvre-t-il la voie à une réunification de l'Irlande ? Eléments de réponse.

1Dans quel contexte intervient cette victoire ?

Pour rappel, l'Irlande est divisée en deux depuis 1921 et la guerre d'indépendance. La partition entre le Nord, rattaché au Royaume-Uni, et le Sud – qui forme la République d'Irlande – a conduit à trois décennies de troubles sanglants (entre les fin des années 1960 et la fin des années 1990) entre nationalistes (catholiques), partisans de la réunification, et unionistes et loyalistes (protestants), défenseurs du rattachement de l'Irlande du Nord à la couronne britannique. L'accord du Vendredi saint, en 1998, a mis fin à cette guerre civile qui a causé la mort de 3 500 personnes. Depuis, le gouvernement d'Irlande du Nord doit être dirigé conjointement par les nationalistes et les unionistes.

Le Brexit est venu perturber ce fragile équilibre. En avril 2021, puis en février dernier, les Premiers ministres unionistes d'Irlande du Nord, Arlene Foster et Paul Givan, mécontents de la situation post-Brexit, ont successivement démissionné, entraînant de nouveau une paralysie de l'exécutif local (la province britannique était déjà restée sans gouvernement ni Parlement entre 2017 et 2020).

Le rétablissement de contrôles douaniers dans les ports nord-irlandais, comme si la frontière entre l'Union européenne et le Royaume-Uni était située en mer d'Irlande, est rejeté par les unionistes, opposés à une mesure qui les met symboliquement à l'écart de leur mère patrie.

2Comment le Sinn Fein a-t-il tiré son épingle du jeu ?

Historiquement, le Sinn Fein est l'ex-vitrine politique du groupe paramilitaire Armée républicaine irlandaise (IRA). Comment est-il parvenu à faire oublier cette étiquette ? Avec le partage du pouvoir, "il a réussi à s'imposer comme une force politique crédible" et a fait campagne non pas sur la réunification mais sur "des thèmes sociaux et économiques" plus porteurs au sein de l’électorat, explique sur RFI Agnès Maillot, professeure à l'Université de Dublin (Dublin City University).

Ce virage a notamment été rendu possible par la personnalité de Michelle O'Neill, ex-première vice-ministre de l'Irlande du Nord et vice-présidente du Sinn Fein, qui devrait hériter du poste de Première ministre. Comme l'écrit Libération, elle est la "première dirigeante du parti (...) à n'avoir entretenu aucun lien direct avec l'IRA : elle était à peine majeure lorsque la guerre s'est achevée".

Le parti a aussi profité du déclin du parti unioniste DUP, grand perdant du Brexit. Après avoir contraint Theresa May à n'accepter aucun "deal" qui induirait un traitement différencié de l'Irlande du Nord par rapport au reste du Royaume-Uni, il a vu Boris Johnson envoyer balader toutes ses promesses une fois élu. "Roulé dans la farine", le DUP a perdu en "crédibilité" et a été sanctionné dans les urnes, perdant des "électeurs sur sa droite et sur sa gauche", analyse sur RFI Christophe Gillissen, professeur de civilisation britannique et irlandaise à l'Université de Caen Normandie.

3Que va-t-il se passer maintenant ?

Michelle O'Neill a promis de dépasser les divisions. "J'offrirai un leadership inclusif, qui célèbre la diversité, qui garantit les droits et l'égalité pour ceux qui ont été exclus, discriminés ou ignorés dans le passé", a-t-elle déclaré, saluant "un moment très important de changement" avec l'entrée dans "une nouvelle ère"

Mais les pourparlers pour la formation d'un gouvernement s'annoncent difficiles et le risque de paralysie plane, les unionistes –  à qui reviennent le poste de vice-Premier ministre – refusant de rejoindre un gouvernement tant que resteront en place les contrôles douaniers post-Brexit. Un ténor du DUP, Edwin Poots, a prévenu que des négociations prendraient "des semaines, avec un peu de chance, ou même des mois"

Londres, tout comme Dublin, a appelé nationalistes et unionistes à s'unir dans un exécutif local pour assurer la "stabilité" de la province britannique .

4Ces résultats ouvrent-ils la voie à une réunification ? 

Même si le Sinn Fein n'a pas fait campagne sur ce thème, la présidente du parti, Mary Lou McDonald, a déclaré vendredi qu'elle pensait qu'un référendum sur la réunification de l'Irlande pourrait avoir lieu dans les cinq prochaines années. Sur ce point, les spécialistes sont prudents. C'est le ministre britannique chargé de la province, Brandon Lewis, qui doit techniquement lancer le processus de référendum. "Il ne le fera que s'il sent qu'il y a une majorité, observe pour franceinfo Fabrice Mourlon, professeur à la Sorbonne Nouvelle. Or, selon les derniers sondages, autour de 30% de Nord-Irlandais sont favorables à une réunification." 

"La réunification se fera peut-être un jour, mais sans doute beaucoup plus naturellement que si les partis en font un sujet."

Fabrice Mourlon, professeur à la Sorbonne Nouvelle

à franceinfo

Le chercheur note l'émergence du parti centriste de l'Alliance dans ces élections : "Il ne joue pas sur le côté confessionnel, les Irlandais du Nord en ont assez de ne pas avoir d'institutions." "On n'est plus dans une situation binaire", abonde sur RFI Agnès Maillot. Estimant que le Sinn Fein a atteint "un plafond de verre" avec ses 27 sièges, elle souligne la progression d'une population "qui ne se réclame ni de l'unionisme ni du nationalisme et qui se contente de la situation actuelle. Les électeurs veulent un gouvernement local autonome qui fonctionne et gère le quotidien" sur les questions de logement, d'économie et d'environnement.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.