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"Je joue, tellement il n'y a rien à faire" : comment les sites de paris sportifs ciblent les jeunes des quartiers populaires

Avec l'Euro de football, les sites de paris sportifs ont une cible privilégiée : les jeunes des quartiers populaires. Un public sensible aux promesses de ces plateformes de jeu... avec des risques d'addiction.

Article rédigé par Nicolas Peronnet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un joueur fait un pari sportif en ligne sur son smartphone sur les matchs de football de l'Euro. Photo d'illustration. (VANESSA MEYER / MAXPPP)

Les grands vainqueurs de l'Euro sont déjà connus : il s'agit des sites de paris sportifs, comme désormais à chaque grande compétition. Et pour cette année 2021, les géants du secteur ont clairement choisi leur cible : la jeunesse des quartiers populaires. Et ça marche, pas besoin de chercher longtemps pour s'en rendre compte.

À Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), le bar-tabac au pied des tours diffuse tous les matchs et jamais le patron n'a vu autant de parieurs défiler au comptoir, comme Amar et Sofiane. “Franchement depuis le début de l’Euro, j’ai plutôt perdu beaucoup d’argent, un truc comme 200 balles, explique l'un d'eux. Tout le temps ça passe pas mais des fois ça passe aussi.” Pour l'autre, jouer est devenu une habitude : "Je viens au café et quand je travaille pas, je joue tellement il n’y a rien à faire. C’est comme ça, c’est de la drogue.”

Ils sont loin d'être les seuls. Rien qu'en perspective de l'Euro, les paris sportifs en France ont bondi de 80%. Impossible d'échapper à la publicité, avec un véritable matraquage avant et après les matchs ainsi qu’à la mi-temps. Les budgets publicité des opérateurs, eux aussi, ont explosé pour l'Euro, plus 25% en moyenne, avec pour certains un marketing "de cité" clairement assumé : “Bascule dans le game !", entend-on dans une des publicités, ou encore : “Grosse côte, gros gain, gros respect !”

Les codes des quartiers dans les publicités

Un casting à grand renfort de rappeurs et d'humoristes à la mode, les slogans ou le graphisme... Les sites de paris pillent les codes des quartiers comme dans cette publicité Winamax très critiquée où on voit un jeune parieur porté comme un dieu vivant devant toute une cité qui s’incline. Une mise en scène digne du Roi Lion qui a fait l'objet d'une alerte de la part de l'Autorité nationale des jeux (ANJ), mais sans sanction.

La présidente de l'ANJ, Isabelle Falque-Pierrotin, s'inquiète surtout de la généralisation de ce marketing très orienté : "Il cible des populations dont on sait qu'elles sont plus vulnérables que les autres. Elles sont plus vulnérables à la fausse promesse que fait le pari sportif de gagner de l’argent. Pour des populations de jeunes ou des populations plus fragiles en termes de rémunération, c’est effectivement quelque chose qui peut marcher. On a fait une étude : sur plus de 2,5 millions de comptes joueurs il y a 500 personnes qui ont gagné plus de 10 000 euros sur l’année. Donc, on ne peut pas gagner sa vie en faisant du pari sportif."

"Je perds donc je joue plus pour gagner"

Pourtant certains tombent dans le panneau. Kilian a la trentaine, vit en Seine-Saint-Denis et en quelques mois a perdu plus de 60 000 euros. Il n'arrive toujours pas à s'en sortir. "C’est vrai que c’est attractif, ils font des publicités avec des offres lors de la première inscription : premier pari offert ou 200 euros offerts, explique-t-il. Au lieu de 1 euro je suis passé à 10, 20, 50, 100, 200, 300… Maintenant, c’est des grosses sommes. De fil en aiguille, il y a eu des dettes. J'ai fait des choses illégales pour compenser des pertes. Je perds, donc je joue plus pour gagner."

Il y a aussi des parieurs qu’ont voit dans des voitures et des maisons de luxe. Au début on les croit mais en fait c’est une arnaque.

Kilian

Ce que décrit Kilian, ce sont les "Tipster", ces vrai faux conseillers en paris sportifs, qui vendent leurs services sur les réseaux sociaux sur Snapchat. Leurs liens avec les sites de paris sportifs sont souvent obscurs. Sur ce sujet également, l'Autorité nationale des jeux vient d'émettre une alerte.

"La sensation de l'expertise" sur le foot

Malgré ces alertes et, souvent, ces grosses ficelles, les paris sportifs continuent de marcher parce qu'aujourd'hui on ne parie plus sur des chevaux mais essentiellement sur le football. Pour la jeunesse des quartiers, c'est tout sauf has-been. Tout le monde a son idée ou pense savoir, le football est particulièrement addictogène, explique Armelle Achour, une psychologue qui dirige depuis 30 ans l'association SOS joueurs. "Ça a vraiment drainé les jeunes parce qu’il y a la sensation de l’expertise, c’est ça qui est terrible, explique-t-elle. Ils connaissent les joueurs ou les terrains depuis qu’ils sont très petits. Ils sont déjà ‘conditionnés’, c’est vraiment un fait de société."

Il y a une éducation au jeu avec les papas qui parient ou regardent le match à la télé avec le gamin sur les genoux. Tout ça s’est banalisé, et fonde la fragilité de nos joueurs aujourd’hui.

Armelle Achour, SOS joueur

à franceinfo

il y a dix ans, 7% des personnes qui faisaient appel à SOS joueurs étaient des parieurs sportifs. Aujourd'hui ils sont 28% et les deux tiers ont moins de 30 ans.

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